Réaliser un film de la série James Bond c'est comme faire un délicieux cocktail.
Le réalisateur, tel un barman chevronné, devra sélectionner ses ingrédients judicieusement et les marier les uns avec les autres de douce manière dans un but avéré : la tronche, vous défoncer.
Ici on choisit un acteur respectable pour faire contraste avec le protagoniste. Là, on construit des séquences rocambolesques que l'investissement des producteurs puisse conquérir du bout de son téléphone. Entre les deux, l'on cause pour cerner le thème de l'oeuvre. Car quitte à y être, autant tenter de faire un film; on a les moyens.
La capacité du cinéaste à transcender la simple exécution d'une formule fera la qualité du film. Faire du fric, c'est un art. Et ce n'est pas en mélangeant au pif diverses mixtures nauséabondes pour produire Die Another Day qu'on en fera. Telle est la leçon de mixage de drinks que Skyfall nous apprend en deux heures et vingt-trois minutes. Sortez les carnets; je vais vous expliquer.
Cela fait près de cinquante ans que Bond, James Bond, s'affiche sur les écrans du monde entier.
En vingt-trois films, on pourrait avancer qu'il a fait le tour de ce qu'il pouvait nous offrir. Tour à tour il a été vendu sérieux, farceur, ridicule; ou juste très Timothy Dalton. Pour le moment la balance de l'univers nous donne un James Bond sacrément sérieux. Intense même. Mais émotif à fleur de peau. Super bien bâti. Mais doté d'un style de course robotique hautement comique.
Cette saveur du moment, c'est Daniel Craig; un gars qui semble déjà à moitié détruit par les efforts de culturisme qu'exige sa version du rôle. Dans notre cocktail, il est la saveur majeure; celle qu'on complimentera par l'usage d'acteurs respectés et de décors extraordinaires. Autant de touches apportées à l'ensemble afin de souligner les forces de notre ingrédient principal tout en masquant ses faiblesses. Deux ou trois feuilles de script glissées au fond du verre nous donnent un prétexte à l'action : un génie de l'informatique veut tuer M la patronne septuagénaire de l'Espion qui Mémé car celle-ci l'a décidément traité comme le pion qu'il était il y à des années de cela.
Simple, efficace, Javier Bardem dans le rôle du méchant-méchant. Ah et James se demande sérieusement s'il a pas perdu la main; ce qui lui donne un petit angle "la légende amoindrie" des plus charmants.
Que demande le peuple?
Pour ce que j'en comprends; il n'en demandait pas autant.
Il était parfaitement satisfait par la qualité des extraordinaires séquences de course-poursuites en motocross. Il trouvait ça cool les trucs cools. Les décors somptueux lui ont chatouillé les mirettes. Même l'Ecosse; c'est dire s'il est tolérant le peuple. Et il a ri quand c'était drôle et pleuré quand c'était triste. Pourquoi? Car il n'est pas un critique cynique à douze balles ce peuple métaphorique. Il ne lui reproche pas de "ne pas être assez réaliste" car il sait que James Bond - en fait - il est immortel. Il ne lui reproche pas d'avoir chassé sur les terres de Jason Bourne - voilà d'ailleurs un nom très repompé sur celui du héros de Fleming - car on vit à une époque où le plus gros du travail des espions se fait par Facebook. Et puis, faut faire gaffe à Bourne, c'est un type qui peut te tuer avec un journal. (Qui comme tout un chacun le sait est paradoxalement l'objet de propagande le moins dangereux de notre époque; bizarre mais vrai).
Avec une audace rare ce Skyfall arrive à redéfinir les contours de l'éternel protagoniste tout au long de deux heures et demie d'un voyage à travers l'ADN de la série. Savant mélange d'action, d'exploration logique de la personnalité du mythe; on ne peut que se demander si jamais James a été aussi Bond.