Avant de livrer un avis sur Skyfall, il convient d'effectuer un petit retour en arrière. Plus précisément en 2002, année de sortie de Meurs un autre jour, dernier volet de "l'ère Brosnan", et aussi la célébration des 40 ans de la saga James Bond. Cet anniversaire là m'avait laissé une sacrée gueule de bois. Scénario qui s'égare vers la série z, clins d'œils intempestifs, humour à deux balles,...James Bond venait officiellement de rentrer dans la catégorie des ringards. Dix ans plus tard, le gaillard est redevenu à la mode. Cela tient à deux mots : Daniel Craig.
Depuis qu'il a repris le rôle de l'espion britannique, la franchise ne souffre plus de la comparaison avec ses concurrents directs (Mission:Impossible, Jason Bourne). Casino Royale, sa première "mission", s'est soldée par un succès mondial. L'interprétation à la fois musclée et névrosée de Craig a su mettre tout le monde d'accord, autant que cette volonté de creuser les intrigues et la psyché du héros. Quantum of Solace (2008) a par contre laissé ressurgir de mauvais souvenirs. Durement touchée par la grève des scénaristes, cette suite s'est révélée moyennement convaincante. Tiraillée entre une réalisation parkinsonienne rappelant Paul Greengrass (réalisateur de deux volets de la saga...Bourne, tiens donc), et un scénario peu inspiré, cette aventure a calmé les ardeurs. Autant dire que ce nouveau volet était attendu comme l'épisode clef. Allait-il confirmer la résurrection de 2006 ou le dérapage de 2008?
Avec Sam Mendes, véritable auteur et bête à oscars (American Beauty, Les Sentiers de la Perdition, Les Noces Rebelles), à la réalisation, on pouvait espérer que ce soit la deuxième option. Résultat? Mendes ne fait pas que confirmer les espoirs qu'on avait placé en lui, il les transcende. Sur tous les plans. Cet opus anniversaire est probablement le volet le plus abouti et le plus profond de toute la saga. Contrairement à Meurs un autre jour, Skyfall ne se réserve pas la plus grosse part du gâteau pour lui. Ceux qui sont à la fête, ce sont les spectateurs. Jouissant d'une histoire creusant le sillon de Casino Royale, on retrouve un James Bond qui broie du noir. À quoi sert-il dans un monde où son Walter PPK est moins efficace et discret qu'un ordinateur? Pourquoi s'acharne t-il à défendre la Grande Bretagne quand ses propres supérieurs n'hésitent pas à le sacrifier sans remords? Le scénario (brillant) offre une remise en question limite freudienne, doublée d'un hommage vibrant au plus célèbre des espions.
À l'inverse d'il y a dix ans, si les scénaristes ont décidés de regarder vers le passé (références savoureuses, retour de Q), c'est pour mieux (re)bâtir l'avenir. Car, en explorant le passé de Bond en profondeur, ou en le confrontant à un ennemi aussi menaçant que joyeusement ambigu (Javier Bardem, bien placé sur le podium des meilleurs méchants de la saga), Mendes parvient à emballer un film d'une puissance rare, en enchaînant les séquences virtuoses. On ne peut que le remercier d'avoir débauché Roger Deakins (son directeur de la photo), qui donne une vraie personnalité à Skyfall. Certaines images qu'il nous a concoctées marquent instantanément les esprits (au hasard: le duel dans un building de Shangaï, l'assaut final dans les landes de l'Écosse).
Et oui, Mendes est toujours aussi bon quand il s'agit de diriger des acteurs. Daniel Craig est monumental, peut-être bien plus encore qu'avant. Il offre un véritable kaléidoscope d'émotions pures, balayant définitivement ses prédécesseurs. La James Bond Girl de ce volet n'est pas Berenice Marlohe (très bien mais très secondaire) mais bien Judi Dench (M), tout simplement parfaite en boss maternelle de Bond. Enfin, Thomas Newman, un autre habitué de la maison Mendes, nous livre une partition magnifique. Vu le résultat final, je ne peux que trépigner d'impatience à l'idée de retrouver l'agent au service de sa Majesté. Car oui, Skyfall s'impose, avec Casino Royale, comme ce qui est arrivé de mieux dans la saga depuis très longtemps.