Skyfall est LE James Bond qui a bénéficié d'un état de grâce.
Arrivée de Sam Mendès (Les Sentiers de la perdition) aux manettes, un Craig plus bondien, une chanson digne des plus mythiques, et une petite excursion aux J.O de Londres comme one shot en guise de préquelle-teaser en compagnie d'une James Bond girl peu comme, Sa Majesté, Elisabeth II.
Comment ne pas tomber sous le charme de ce décor feutré, silencieux et anonyme qui s'ouvre soudain au bruit et à un Istanbul inattendu et pourtant si cher à l'esprit bondien (Bons baisers de Russie, Le Monde ne suffit pas)? Une lutte sur un train digne d'Octopussy ou des Mystères de l'Ouest, Bond touché à mort et les premières notes de la chanson d'Adèle, cela augure très bon.
Dans l'ensemble, le film est bon. Très bon même. L'un des meilleurs.
Mais il souffre de quelques menus défauts qui ternissent son vernis éclatant que Spectre aura tôt fait d'éclater. Car Skyfall est la promesse d'un retour aux sources dont Spectre prouvera qu'il est impossible aussi longtemps que la franchise sacrifiera aux néophytes de 2006.
Un retour aux sources
Retour aux sources remarqué et apprécié pour un film déjà classique.
Pour ce faire, plusieurs allusions et piqûres de rappel, un slogan rémanent, un Daniel Craig plus bondien et une chanson emblématique et envoûtante.
Allusions et piqûres de rappel
Certes, Skyfall est un volet anniversaire, celui des 50 ans de la saga. Mais il suffit de jeter un oeil aux autres volets de ce type pour se convaincre qu'il est le meilleur du genre. Tuer n'est pas jouer, que certaines affiches présentent comme le volet des 25 ans de la franchise, annonce peu la couleur, plus occupé à introduire un nouveau Bond. Meurs un autre jour crée l'overdose de références allant jusqu'à réécrire Les Diamants sont éternels. Plus affiché et en même temps plus sobre dans la célébration, Skyfall - qui profite de cet anniversaire pour annoncer un retour aux sources - sème des allusions discrètes çà et là, des références mêlées, fusionnées dans une innutrition remarquable.
Les gadgets peuvent décevoir comme rendre nostalgique, puisqu'il s'agit du recyclage de l'Aston Martin DB5 et du micro de Goldfinger ainsi que du fusil à empreintes palmaires de Permis de tuer, transformé pour l'occasion en pistolet à empreintes palmaires
Le méchant, Raoul Sylva, est une sorte de Scaramanga disposant néanmoins d'un passé, d'une difformité physique et d'un arsenal dignes de Alec Travelyan et d'un île repaire proche de celle du Docteur No.
Un dialogue entre Bond et ce dernier traite de résurrection, une allusion à peine voilée à On ne vit que deux fois, tandis qu'une réplique de Bond transforme astucieusement le titre Rien que pour vos yeux.
Le retour des villes d'Istanbul, de Macao (L'Homme au pistolet d'or) et une plus profonde plongée dans Londres et l'Ecosse participent de ces allusions.
La James Bond girl, Severin, rappelle Vesper par sa robe, Andrea Anders par son rapport ambivalent à Bond et Sylvia ainsi que Tatiana Romanova dans son attitude d'une pub pour Heineken liée au film. Elle a surtout la sauvagerie et le trouble passé d'Honey Rider et sa dualité occidento-orientale fait d'elle une Miss Taro voire un Docteur No féminin.
Un slogan rémanent
Le retour aux sources n'est pas uniquement allusif.
Il est fortement marqué par un slogan protéiforme, entrepris par différents personnages s'adressant à Bond et au spectateur classique en métalepse comme en réponse aux personnages incarnant le spectateur néophyte. Pour ce dernier, M demande à Bond: "Pourquoi ne pas rester mort?" et Q affirme "on ne donne plus dans ce genre là". Miss Moneypenny et Kincade leur répondent: "[il est] dans le personnage (...) le vieux singe avec les nouvelles grimaces" et "les vieilles méthodes sont souvent les meilleures".
Comme pour le confirmer, c'est à Skyfall Lodge, manoir familial des Bond, que Sylva sera stoppé, lui que le monde moderne ne peut stopper.
Monde moderne qui dit la franchise désuète et auquel répond M par les vers d'Ulysse de Tennyson: "Bien que nous ne soyons plus cette force qui jadis remua ciel et terre, ce que nous sommes, nous le sommes". La suite de la citation n'est que plus criante.
Un Craig plus bondien
S'il est vrai que, les cheveux si courts!, Daniel Craig recouvre une blondeur si sujette à la discorde, il n'en fait pas moins montre d'une réelle volonté de renouer avec le style de jeu des anciens Bond, délaissant son côté bulldozer pour le plus grand plaisir des fans de la première heure.
Pour renforcer le tout, Mendès , pragmatique, décide de mettre en avant, en relief, en évidence, par tous les moyens en sa possession les yeux de son acteur principal pour montrer qu'ils n'ont jamais été aussi bleus chez les autres interprètes (comprenez: Sean Connery ne les avait pas bleus, lui qui est si brun!)
On notera au passage la pédagogie de Sam Mendès dans la scène où Bond et Q se retrouvent face au Fighting Téméraire de Turner qui oppose l'interprétation enthousiaste de Q à celle plus Cro-Magnon de Bond. Cette dernière atteste de la volonté de l'espion d'apparaître plus brutal qu'il ne l'est en réalité, puisque c'est bien lui qui a choisi ce tableau. Mendès cherche évidemment à faire comprendre l'inversion de l'ironie bondienne héritée du reboot, mal comprise par les puristes. A juste titre.
Une chanson emblématique et envoûtante
Le vrai succès de Skyfall, c'est indubitablement son générique.
Sombre à souhait, il nous entraîne dans la chute du héros, vers les tréfonds obscurs de son âme et de ses réminiscences. Bond tire sur des ombres changeantes, sur son reflet dans les glaces et se trouve enterré vivant dans le manoir familial qui tombe en sang et figure vite la tombe.
Cet incroyable visuel dantesque est encore mieux servi par la chanson d'Adèle.
Une chanson digne des anciennes, qui respecte les codes en s'identifiant au titre, le faisant coeur de son générique.
Une chanson qui a sa place auprès des plus grandes car elle reste aussi aisément en tête que Goldfinger de Shirley Bassey, Live and let die de Paul McCartney ou encore Goldeneye de Tina Turner.
Plus noire, plus efficace encore, elle envoûte dès les premières notes et l'emporte dans le suffrage, à supplanter toutes les chansons précédentes. Une chanson qui s'identifie à un sentiment bien de notre époque, une désagréable et forte impression de perte des valeurs et d'un monde fou qui s'auto-détruit et laisse ce qu'il y a de bon tomber en ruines. Mais, moins larmoyante que celle qui lui succède, elle appelle à faire face ensemble dans ce triste contexte.
Le vrai succès indéniable de Skyfall, ce qui en fait un vrai James Bond de légende, c'est sa chanson générique.
Le Temps retrouvé ...
Passée cette impression enivrante de retour aux sources, que reste-t-il?
Un volet visuellement époustouflant, répondant à une piste longtemps posée par le côté Brett St-Clair de Roger Moore, une ambiance nolanienne mais aussi, hélas!, de multiples incohérences qui viennent tirer le film vers le bas.
De la poudre aux yeux. Mais quelle poudre !
Oui, les incroyables visuels de Skyfall peuvent sembler n'être que poudre aux yeux, surtout lorsqu'il s'agit de montrer le Shanghaï de Mission: impossible 3 qui avait su le peindre plus mouvementé.
Mais, tout de même, quelle beauté infinie des décors lumineux de cette ville, tamisée et artificière d'un Macao moins touristique que celui de L'Homme au pistolet d'or (c'est à dire, renouvelé), spectrale de l'île abandonnée d'Hishima, froide et vaste des plaines désertes digne d'un western de l'écosse finale !
Brett St-Clair's returns
Cette écosse silencieuse et énigmatique qui recèle l'un des secrets les mieux gardés de Bond, Skyfall Lodge, son manoir familial.
Cela n'est pas sans rappeler le personnage célèbre de l'ex-007, Roger Moore, j'ai nommé Brett Saint-Clair. Apportant ce côté lord au personnage, en suite aux révélations d'Au service secret de Sa Majesté, Moore - qui fait apparaître Bond, pour son entrée, dans sa maison londonienne, laisse espérer la découverte de son manoir familial.
C'est chose faite grâce à Skyfall même si le bâtiment rappelle plus le Manoir Bates que le Manoir Wayne.
James Bond is Batman. Almost ...
Manoir Wayne qui est presque attendu, tant l'atmosphère du film et le passé de Bond sont traités à la manière du Batman begins de Nolan.
Kincade, le vieux garde-chasse en guise d'Alfred, M en guise de Lucius Fox, qui s'occupent du petit orphelin devenu un homme double, et un méchant qui cumule l'épouvante du Dr Crane, le rôle de leader de ligue destructrice de Raz'Al Ghul et la démence ou le rire du Joker. Un méchant qui chante du Charles Trenet (le "chanteur fou") parce que ça fait Boum! Un méchant qui s'exprime par apologue comme l'Homme mystère et vient faire flamber le manoir du héros pour le final. Un méchant aux allures d'un concentré de Norman Bates et Hannibal Lecter. Un méchant superbement campé par Javier Bardem (No country for old men), méconnaissable en blond mais plus terrifiant encore que dans le film exemple.
La Chute du ciel
Hélas, là où le bât blesse, Skyfall saigne comme le manoir homonyme dans le générique initial.
Car si le méchant est excellent, il a aussi un défaut et de taille: son complot est ridicule et il ne se sent pas capable de le mener à bien lorsqu'il en a l'occasion.
Son but? Tuer M. Juste M. Vous n'êtes menacé que si M est à côté de vous et ce parce que, face à elle, la tenant en joue, Sylva hésite à passer à l'acte et tire sur tout ce qui bouge autour.
Néanmoins, ce méchant reste le plus efficace de la saga, premier sur le terrain, des hommes de main pour faire tapisserie. Et, si l'on en croit James Bond (et on le croit), un méchant qui ne manque pas ses entrées. En réalité, si son complot est le moins dangereux de toute la saga - Drax veut commettre un génocide planétaire, Stromberg effacer les continents, Zorin faire couler Silicon Valley, Blofeld et Carver déclencher des 3e Guerres mondiales à répétition - il est le seul à triompher de Bond. Car, oui,
Sylva meurt à la fin mais il tue M. Donc,
Sylva l'emporte, laissant Bond et le MI6 en deuil. Seul méchant victorieux (car Blofeld ne saurait l'être en tuant Tracy), il impressionne mais ridiculise par là même un héros jusqu'ici invaincu.
Et c'est bien le problème: James Bond ne remporte aucune victoire dans ce film. Plus alcoolique que jamais, le voilà sans réflexes, échouant à ses examens, échouant à récupérer une liste vitale, échouant à stopper le complot de Sylva à temps.
Quid des alliés de 007?
Félix Leiter a disparu, ce qui est assez courant en soi.
Q et Miss Moneypenny sont revenus quant à eux, absents depuis 2 volets.
Les deux vedettes choisies pour ces rôles étaient effectivement très envisageables, mais il y avait beaucoup mieux.
Ben Wishaw (Le Parfum) peine à convaincre et n'y parviendra que dans Spectre. Et si Ethan Hunt a déjà fait main basse sur Simon Pegg (Trilogie du cornetto), David Tennant(Docteur who) eût été un choix intéressant pour le Quartier-maître créateur de gadgets.
Naomie Harris a montré son sens de la répartie digne de Miss Monepenny dans Pirates des Caraïbes où elle incarne la sulfureuse Calypso. Mais force est d'avouer que d'autres actrices aussi talentueuses dans l'acting et plus idoines physiquement parlant étaient à portée de main: Gemma Arterton, si Fields avait déjà été Moneypenny, Rose Byrne(Damages), Jenna-Louise Coleman (Docteur Who) ou même et surtout Nathalie Dormer (Games of thrones), un temps envisagée pour ce rôle dans 009, la série télévisuelle spin-off de James Bond.
Quant à M, Skyfall en donne deux pour le prix d'un , le temps d'une passation de rôle entre Judi Dench (Shakespeare in love) et Ralph Fiennes(le nouveau Steed dans Chapeau melon et bottes de cuir), plus proche de Bernard Lee, le M original.
Enfin, les femmes.
Deux James Bond girls passagères, quasi-anecdotiques, l'inaperçue Tonia Sotiropoulou (Berberian Sound Studio) en amante anonyme et la plus vénéneuse quoique trop éphémère Bérénice Marlohe (L'Art de séduire). Toutes deux sacrifiées au profit...de Miss Moneypenny qui s'improvise James Bond girls hors MI6, sous ombre d'un jeu sur son identité, et plus surprenant encore d'Olivia Mansfield alias M, première James Bond lady, avant l'apparition/pseudo-inauguration de cette catégorie nouvelle avec Monica Belucci. C'est d'ailleurs Sylva qui en fait une James Bond girl en disant à ses hommes de main: "laissez-moi la fille!"
De quoi "débonder" un "bond" coup !
Liée à ces points d'ombres, une cascade d'incohérences.
La plus nolanienne semble sortir tout droit du Dark knight rises: Bond, qui a perdu ses réflexes, les retrouvent subitement à la façon peu vraisemblable de Jason Bourne ou de Bruce Wayne qui fait craquer son arthrite pour gambader comme un bambin.
Dans un style proche, Bond, qui a reçu une balle dans l'épaule, parvient à la garder en lui sans infection d'aucune sorte et à la ressortir longtemps après un peu éclatée mais intacte.
Discutable, l'idée de M consistant à tirer sur Patrice, l'homme de main de Sylva quitte à blesser Bond pour la seule raison qu'on risque de les perdre de vue à cause d'un tunnel. Combien de fois aurait-on pu tirer sur l'ancien Bond rarement vu par ses supérieurs lors de ses missions?
Ridicule, la polémique autour des gants de cuir de Bond que Bond utilisait initialement pour tirer avec son arme à empreintes signatures. Une incohérence heureusement décelée à temps !
Le final, en excellent western, souffre de la préparation en famille de pièges dispersés partout dans la maison pour stopper les assaillants: il n'en fallait pas moins pour comparer le James blond au petit garçon blond de Maman, j'ai raté l'avion...
Sans parler de la polémique autour de l'allusion de l'homosexualité potentielle du James Bond.
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En conclusion, un excellent James Bond, promesse d'un retour aux sources réussi, à l'image de sa dernière scène, qui pèche par excès d'assurance.
(Et toujours pas de Gunbarrel initial, ou prétendument présenté avec Bond avançant dans un couloir initialement confondu avec un cercle lumière !)