Tarkovski a dit de ce film qu'il était mineur.Ses films dit majeurs (Andréi Roublev, le Miroir) m'avaient laissé de marbre; j'ai donc pensé que ce Solaris pouvait laisser espérer à la fois plus d'action et plus de réflexion, tant le mode de pensée de Tarkovski est pour moi paradoxal.
Pour preuve ce film dit de science-fiction qui commence par de longs plans fixes sur de l'eau,puis sur un bel arbre. Il faut être un familier de l'oeuvre pour reconnaître là la signature du maestro, présente dans la plupart de ses films. Mais ne boudons pas le plaisir de plans superbement cadrés magnifiés par un Prélude en Fa Mineur de Bach tendu et nostalgique.
Après une digression légèrement absconse qui nous montre plusieurs personnages en désaccords (à quel sujet?) on assiste à la longue interrogation d'un pilote au retour de sa mission sur Solaris. La conclusion abrupte et ironique du chef de la commission scientifique est voulue :il s'agit de dénoncer l'attitude scientifique dans ce qu'elle a de plus rationnelle (le mot rationnel étant hautement péjoratif dans la bouche de Tarkovski).Vient ensuite, triste effet d'un montage au sécateur, une longue séquence en noir et blanc sur autoroute filmée du côté d'Akasaka près de Tokyo. Il faut bien constater ici que l'art du montage n'est pas vraiment la spécialité de Tarkovski (voir ses critiques sur les montages pourtant admirables des films d'Eisenstein). Et opportunément on se rappelle que comme dans Stalker Tarkovski filme avec autant de conviction la laideur de la modernité (qu'il filme en noir et blanc) qu'il filme la beauté de la nature éternelle (en couleur).
Le film va prendre son envol, si je puis dire, à partir du moment où le héros Kris Kelvin (interprété par l'acteur lituanien Donatas Banionis) se retrouve dans la station spatiale. C'est grâce à la rencontre avec son épouse Khari (interprétée par l'actrice russe Natalia Bondartchouk) qu'il va progressivement prendre conscience de sa vraie identité. On apprendra ensuite que Khari est morte depuis dix ans après s'être suicidée. Mais sa copie est tout aussi vivante, aimante et charnelle. Nous sommes ici entrés dans le roman de science-fiction du Polonais Stanislas Lem qui avait axé son livre sur l'impossible contact entre les humains et les civilisations extra-terrestres. Le rôle de Khari, ambassadrice séduisante de Solaris est de faire l'intermédiaire entre Kelvin et cet océan gluant capable de lire les pensées amoureuses secrètes et de les matérialiser. Si l'atmosphère de la station spatiale fait penser au vaisseau abandonné d'Alien, avec une menace imprécise et diffuse, la grande originalité est de faire surgir ici une créature extra-terrestre qui apporte l'espoir et va purifier le héros. Et renvoie par là-même les deux scientifiques survivants de la station, incapables de nouer le moindre contact, à leur insensibilité et à leur matérialisme. Le Dr Sartorius (interprété par l'acteur russe Anatoli Solonitsyne) n'arrive à "matérialiser"qu'une sorte de petit monstre tandis que l'image projetée par le Dr Snaout (interprété par l'acteur estonien Jüri Järvet), qui est plus sensible que son comparse, est une jeune fille qui se cache et apparaît très furtivement. On ne saura pas quelle était l'image projetée par le Dr Guibarian (interprété par l'acteur arménien Sos Sarkissian) sinon qu'il a mis fin à ses jours de honte après avoir constaté dans son dernier message vidéo les erreurs humaines dues à la course au progrès technique et scientifique. Khari fera elle aussi cette expérience de la honte, en voulant ressentir au plus profond de sa chair la vérité de la nature humaine et tentera de mettre fin à ses jours (pour la deuxième fois).
Dans les dernières image nous voyons Kelvin revenu sur terre. Mais le dernier plan pris en hauteur montre une île qui s'est formée au milieu de l'océan de Solaris. Des profondeurs de l'esprit de Kelvin s'est matérialisée la maison de son enfance, avec l'eau et l'arbre du début, et les parents bien vivants (interprétés par Olga Barnet et l'acteur ukrainien Nikolaï Grinko). Je mets à dessein le nom des acteurs car le casting est une véritable dream team de ce qui se faisait de mieux à l'époque en Union Soviétique.
On pourrait éventuellement comparer avec les dernières images de 2001 Odyssée de l'Espace. Mais là où il n' était question que de recommencement de la vie, ce qui n'est qu'une interprétation personnelle parmi tant d'autres il est ici question de haute spiritualité: Kelvin a choisi de vivre sur Solaris et a atteint en même temps que la sagesse sa part d'immortalité, matérialisée par le paradis perdu de son enfance et par la présence désormais éternelle de Khari, l'amour perdu de sa jeunesse.