PREMIERE PARTIE – MERCREDI 30 AOUT 2017 – 20H56


Ceci est un témoignage. J’en suis à la première partie de Solaris et je redoute la suite. Le fait que je parle d’un film qui se construit, dans sa première partie, lui-même sur une succession de témoignages, dont les plus marquants sont ceux de Burton et Guibarian - des témoignages, soit dit en passant captivants, et, a posteriori, effrayants - n’est qu’une coïncidence. Je ne cherche pas délibérément à faire un exercice de style. À reprendre les codes du film pour en parler en créant la connivence. J’ai juste senti le besoin de laisser une trace de mon ressenti, maintenant. Maintenant que VLC est en pause, dans l’entracte entre la première et la deuxième partie.


Je laisse une trace, au cas où le reste du film finirait par me tétaniser. Cela m’est déjà arrivé, dans un film dont l’incipit réunissait tous les beaux artifices de la peur que je retrouve dans Solaris. Ce film c’était It Follows. C’est un film qui m’a traumatisé pendant des mois. En plein été, grosse chaleur, incapable d’ouvrir les fenêtres pour un courant d’air frais. Dès qu’il faisait nuit, et que l’imagination s’enclenchait, je redoutais de voir un homme, ou une femme, s’avancer tranquillement vers moi, dans l’obscurité du jardin. Symbole inéluctable de ma vulnérabilité. J’avais même peur chez moi (mais moins si les volets étaient fermées). Bien trop peur que quelque chose rentre. Tout ça à cause d’un film aux effets analogiques. Non numériques je veux dire. Alors It Follows c’est beau, oui, comme David Bo,wie. C’est beau, mais c’est la mort qui fait toc-toc, parce qu’elle n’a pas d’autres moyens. Puisqu’il n’y a pas d’effets spéciaux. C'est juste l'insondable qui frappe avant d'entrer.


Dans l’incipit de It Follows, il y a tous les effets de la peur dont j’ai besoin de vous parler. Le témoignage déjà, dans cette fille apeurée, qui fuit le rien, et semble le voir partout, qui fuit l’aide des autres, qui cherche un espoir ultime dans la fuite, jusqu’au bout du monde sur la plage, et finit par y mourir sauvagement, malgré tout. Et puis les apparitions, humaines, calmes, familières… simplement piétonnes. Tout est là. Dans Solaris c’est ça aussi. Les témoignages désespérés mais mystérieux, la peur qui ne souffre pas des distances, la peur empathique, ou communicative, parce que les autres ont peur, le familier aussi, comme contexte et prétexte à la peur. Les plans trop longs alors que le personnage est déjà sorti depuis longtemps… La peur du vide, parce que l’on a peur qu’il se remplisse sans nous prévenir. Qu’il se remplisse d'un monstre peut-être. Un monstre qui, lui, se remplirait d’autres choses. De nous, forcément. Et en nous, qui sait. Comme un vertige... Ce moment charnière dans un film où, soudainement, tout est prétexte à l’angoisse. Chaque plan, chaque détour, chaque reflet, chaque forme. Ce moment charnière où l’on réalise que la tranquillité ne reviendra pas avant la fin du film. Peut-être jamais même, qui sait… Tarkovsky m’avait prévenu pourtant dans ce passage equestre, où l’enfant a peur de l’écurie, que sa mère lui dit « c’est juste un cheval, il est gentil » et que l’enfant lâche ces mots totalement intolérables lorsque la nuit tombe « non mais c’est pas ça, il y a autre chose », lorsqu’il n’y a rien d’autre que le cheval.


Vous l’avez vu vous aussi le vide à gauche du cheval ?... Bref, c’est pour ça que je ne vais pas aller voir mon père dans l’autre pièce, à coté, pour lui expliquer mon malaise, il ne me comprendrait pas. Je vais lancer la deuxième partie, et la regarder en entier, en me rappelant régulièrement, pour me rassurer, que je fais ça pour la science. On verra bien ce que je vais trouver. Ce sera forcément une vérité scientifique. Et, au pire, si ça tourne mal, j’ai à ma droite du chocolat et un paquet de Muesli saturé en sucre. Je n’hésiterai pas à les utiliser contre moi, et à casser mon régime, si je finis sur les rotules.


Fin de transmission. (Petite fille en robe blanche qui passe dans mon dos, le visage caché sous un voile)


DEUXIEME PARTIE – MERCREDI 30 AOUT 2017 – 23H02


C’est terminé, je suis passé à travers tête baissé. Ce n’était peut-être pas nécessaire, la suite n’était pas si dure. J’y ai perdu mon âme, et mes esprits. Mais rien de grave. J’en avais si peu. Aujourd’hui je doute de tout. Je me demande si les gens existent. Je me demande à combien d’années-lumière je suis d’eux, quand j’essaie de penser à leur place. Mais, je me dis, dans l’éventualité où ils existent vraiment - et qu’ils sentent vraiment les choses, qu’ils soient faits comme moi ou non, atomes ou neutrinos, chien ou algue, océan, peu importe - je me dis, disais-je, que cette simple éventualité suffit à m’impliquer. L’infime probabilité que l’autre ressente mon amour comme j’espère le donner - avec tous les bienfaits que j’essaie laborieusement de mettre dedans - me suffit à l’éprouver (l’amour, pas l’autre).


Je dis ça. Je dis ça… Cela m’obligerait à faire pareil de mes cauchemars, dans le doute ? Mais qu'en faire alors ? Arrêtez de combattre frontalement, et les aimer ?


Et je critique quoi moi après alors, si la compassion se mêle de tout ? Il y a de quoi devenir fou...


Fin de transmission. (Amour infini dans le miroir noir d’une baie vitré face à la nuit)


EDIT : citations arbitraires


« L'une des fonctions indéniables de l'art trouve son origine dans l'idée de la connaissance, où l'impression reçue se manifeste comme un bouleversement, comme une catharsis. » Page 47, Le temps scellé


Page 47 toujours : « dès l'instant où Ève croqua à la pomme de la connaissance, l'humanité se trouva condamnée à la quête perpétuelle de la vérité. […] C'était le commencement d'un parcours sans fin. Et on imagine le drame qu'a dû être pour ces deux âmes, à peine sorties de l'ignorance sereine, d'avoir tout à coup à faire face à un monde hostile et incompréhensible. […]
C'est ainsi que l'homme […] se retrouva sur la terre pour connaître la raison qui l'y avait mis, ou qu'il y avait envoyé.
Et le Créateur se connaît aussi lui-même à travers l'homme. Ce cheminement, qu'on appelle l'évolution, s'accompagne pour l'homme d'un douloureux processus de découverte de lui-même. […] Il se sert pour cela de toutes les connaissances accumulées avant lui. Mais sa propre connaissance spirituelle de lui-même demeure son véritable objectif. Et cette expérience subjective est toujours une expérience nouvelle. L'homme discerne son rapport à l'univers, et cherche douloureusement à posséder ou à se fondre dans un idéal extérieur à lui-même, qu'il perçoit intuitivement. La quête sans fin de cette union, l'insuffisance toujours ressentie de son « moi », est la source éternelle de l'insatisfaction humaine. L'art, comme la science, est un moyen pour l'homme de maîtriser l'univers, un instrument de connaissance dans son cheminement vers ce qu'on appelle la « vérité absolue ». »


" d'une façon ou d'une autre, les montagnes ne sonneront jamais juste à nos oreilles ; nous leur donnerons de nouveaux noms, mais les anciens noms sont là, quelque part dans le temps, et ces montagnes ont été modelées et contemplées sous ces noms-là. Les noms que nous donnerons aux canaux, aux montagnes, aux cités glisseront dessus comme l'eau sur les plumes d'un canard. Peu importe la façon dont nous y toucherons, nous ne toucherons jamais mars. Alors ça nous mettra en rage contre cette planète, et savez-vous ce que nous ferons? Nous la dépècerons , la dépiauterons et la transformerons à notre convenance." RAY BRADBURY, Chroniques martiennes

Vernon79
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le 31 août 2017

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