Pour comprendre le statut culte de Soylent Green, il est nécessaire de le replacer dans son contexte. Ce film sort en 1974, une époque où la croissance effrénée post seconde guerre mondiale s'est pris un brusque coup derrière la tête, assené par un choc pétrolier retentissant l'année passée. Quelques obscurs économistes regroupés au sein du "Club de Rome" auront également déjà fait leurs oiseaux de mauvais augures avec un rapport en 1972 "Halte à la croissance", dénonçant les effets pervers de cette obsession de l’indicateur à la hausse, produire plus, consommer plus, procréer plus, etc. Un frisson parcourt l'humanité. Au delà de la peur sourde la guerre froide, l'idée que les ressources sont périssables, que la planète Terre n’est peut être pas capable de pourvoir pour tous indéfiniment, prend corps.
Et dans ce contexte, PAF, Soylent Green. Un film qui te dépeint une société surpeuplée où les pauvres entassés les uns sur les autres sont réduits à avaler une bouffe synthétique ignoble, où seuls les riches peuvent de temps en temps s’offrir le luxe de croquer une pomme. Seul le produit Soylent Green, à base de plancton, quoique rationné, à un goût potable et reste à peu près accessible à tous. Gare aux émeutes lors des arrivages cependant ! Elles sont sévèrement réprimées !
Au-delà de l’histoire prenante pourvue d’une révélation finale qui m’avait profondément choqué bambin (et qui m'a encore arraché une larme hier soir), la force de ce film réside bien dans ce rappel constant, par des scènes de survie quotidienne effroyables disséminées tout du long, de l’inconscience de nos modes de vies occidentaux. C’est quasi impossible de s’imaginer un instant seulement qu’un grain d’herbe, une entrecôte saignante, devienne un mythe. Soylent Green lui t’assène cette alternative de réalité une heure et demi durant. Elle devient crédible, elle devient prophétique, elle te remue profondément les tripes et te fiche la trouille. Et tu te demandes vraiment pourquoi encore aujourd’hui, la croissance est la seule obsession des gouvernements autour de laquelle devrait se construire une société moderne, et pourquoi tu as "besoin" de changer de smartphone tous les ans ou de bouffer trente-six steaks par semaine. Si demain la pénurie se généralise, ce n'est pas seulement notre confort qui sera mis à mal, notre estomac moins garni, c'est aussi notre rapport à l'autre qui s'endurcira.
Formellement, Soylent Green est aussi sobre qu’efficace dans sa mise en scène, le scénario, quoiqu'accessoire, te ferre et ne te lâche pas, avec au sommet un Charlton Heston immense dans son rôle. Alors oui, certes, Soylent Green a vieilli dans ses quelques effets spéciaux (le sang sauce ketchup est risible), un peu aussi dans sa façon de traiter le sujet, mais le propos reste suffisamment fort pour te gifler la conscience d’importance.
Parce que pour revenir sur mon introduction, le propos du Club de Rome a été très vite oublié, ringardisé, (déjà qu’il était peu écouté à l’époque). Bon sang, ce ne serait pas idiot de les remettre sur le devant de la scène ces clairvoyants visionnaires. Et pour parvenir à ça, Soylent Green ferait un excellent ambassadeur.