Trop de blanc finit par éteindre le blanc...

Celles et ceux qui avaient eu la chance de voir « Little bird » (2012) avaient conservé en leur mémoire ce film à la fois intense et infiniment délicat, associant subtilement le thème de l’enfance à celui, autrement plus amer, de la perte et de la disparition.


Ce troisième long-métrage de Boudewijn Koole s’ouvre de la façon la plus prometteuse qui soit, dans les paysages immaculés de la Norvège du Nord, où Roos (Rifka Lodeizen) rejoint sa mère (Elsie de Brauw), ancienne pianiste virtuose - dont toute la tendresse, la sensibilité semble s’être réfugiée dans la pulpe des doigts -, et son jeune frère, Bengt (Marcus Hanssen), créatif et solitaire. Famille d’artistes, donc, puisque Roos revient elle-même d’un pays d’Afrique Noire, où elle effectuait un photo-reportage.


La première partie est un pur ravissement, Boudewijn Koole nous entraînant dans l’univers entièrement esthétisé sur lequel Roos pose son regard et son objectif : fjords gelés transformés en immenses pistes, de conduite ou de pêche, pour peu qu’un trou soit foré dans la glace ; forêts nues et blanchies, mais formées de troncs si densément serrés que les furtifs élans qui les traversent ne s’y distinguent que difficilement ; pelage tout aussi dense et regards bleus des chiens de traîneau dont la mère s’est entourée et qui semblent les seuls à même de la transporter dans de longues extases poudreuses, lors de ses courses sur la neige ; fascinante cascade de glace sculptée par Bengt, afin de faire produire à ses longues stalactites des notes justes... La caméra hypersensible de Melle van Essen peut ainsi entrer en action, figeant parfois le mouvement, brièvement, pour mimer le geste photographique de l’héroïne, comme Daniel Bouquet, directeur de la photographie, le pratiquait déjà sur « Little Bird » ; instants arrêtés, précieusement recueillis, et qui correspondent sans doute aux images qui parviendront à s’inscrire dans la mémoire...


Mais toute cette beauté ne va pas sans fausses notes et, très subtilement, le scénario de Jolein Laarman (déjà co-scénariste de « Little Bird ») laisse transparaître les fêlures venant fissurer la belle harmonie : alors que la complicité entre la visiteuse et son petit frère est grande, on ne peut pas ne pas percevoir la différence qui oppose une mère ne voulant rien entendre du message tragique que sa fille est venue déposer dans son giron et le jeune fils affolé de sons, casque vissé sur les oreilles, micro en avant, et qui prétend tout entendre, des échanges familiaux aux bruits de la nature les plus imperceptibles. Hommage soit rendu à l’ingénieur du son Mark Glynne, qui fournit ici un travail virtuose. Si le film épouse le regard de Roos, il adopte aussi les oreilles du jeune Bengt, si bien que les spectateurs de « Sonate pour Roos » deviennent également les auditeurs de sons véritablement inouïs. Double déploiement sensoriel qui fait, entre autres, toute la richesse de cette nouvelle œuvre du cinéaste néerlandais et la distingue radicalement du magnifique « Juste la fin du monde » (2016), de Xavier Dolan, film dont elle se rapproche par ailleurs fortement, en ce qui concerne sa thématique principale.


Étrangement, et regrettablement, c’est lorsque la dysharmonie se résorbe, lorsque les tensions, l’incompréhension et les ruptures de dialogue se muent en duo suave que le film perd peut-être son âme. On ne saurait en vouloir au réalisateur d’avoir refusé de s’asseoir au banc des pessimistes cyniques et d’avoir ainsi tenté de donner une orientation positive, optimiste, à cette histoire bâtie autour d’un lien ruiné, ou sans doute même jamais véritablement sorti de terre. Mais une évolution aussi heureuse peut sembler peu crédible, précisément au nom de ce qui a été livré et mis en place concernant les personnages. Tant de tendresse, soudainement, de compréhension, alors que l’inaptitude profonde à de tels mouvements s’est trouvée si clairement exposée ? Et puis pourquoi, alors que « Little Bird » saisissait de manière si aiguë l’abrupt de la mort, fût-elle celle d’un simple oiseau, pourquoi rendre ici la mort si légère qu’on pourrait la rejoindre comme on partirait en promenade ? Non, décidément, à la blancheur aveuglante, on peut préférer la noirceur des plumes d’un choucas, puisque telle était l’espèce du « Little Bird »...

AnneSchneider
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le 1 mai 2018

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Anne Schneider

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