What the f*** man?
Comment parler de Sorry To Bother You ? Non sérieusement, comment aborder la chose ? Est-ce que je spoile pour entrer en profondeur dans l'analyse ? Est-ce que je dis vite fait mon...
le 7 févr. 2019
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Quelque part entre comédie satirique, brûlot politique et série B d’anticipation, le premier film de Boots Riley est difficile à caser, et c’est tant mieux. Projeté en séance de clôture du PIFFF 2018, cet électron libre à l’irrévérence plus qu’assumée a miraculeusement su trouver son chemin dans nos salles. Et pour vous faire une petite idée de la gueule du bazar, si un film comme Get Out forniquait avec Brazil, leur rejeton s’appellerait sûrement Sorry To Bother You.
Fright Club
Cassius Green ne mène pas vraiment la vie rêvée. Sorte de Big Lebowsky 2.0, ce loser de la classe moyenne qui vit dans le garage de son oncle dégote néanmoins un beau jour un job dans une compagnie de télémarketing. De façon inespérée, le bougre gravit les échelons et se retrouve vite au sommet de la pyramide de la réussite sociale, en même temps qu’au cœur d’un dangereux complot capitaliste... Sorry To Bother You, c’est donc le récit de la métamorphose d’un loser moyen en increvable golden boy. Sauf que pour en arriver là, Cassius devra s’aligner sur un modèle comportemental douteux, celui brandit par ce si beau rêve américain. Rentrer dans un moule et faire taire ses pensées rebelles, annihiler son individualisme et se laisser gentiment formater, tels semble être les fers de lance de cette Amérique sans pitié où, plus que jamais, tout doit répondre à un modèle archétypal bien aiguisé et où l’écrasement des « faibles » par les « forts » est valorisé plus que tout.
Tout cela n’a bien sûr rien de vraiment nouveau mais l’angle d’approche choisi par Boots Riley, musicien devenu cinéaste, est quant à lui assez revigorant. Car Sorry To Bother You utilise l’humour comme une arme de rébellion massive et si le ridicule des situations rencontrées par les personnages provoquera souvent l’hilarité, ces scènes de vie n’en seront pas moins les reflets des pires vices de notre société moderne. Peur de l’autre, capitalisme exacerbé, racisme, manipulation des masses, toxicité des réseaux sociaux, tous les furoncles de cet adolescent paumé, mal élevé et pourri gâté que l’on appelle 21e siècle sont éclatés sans vergogne à la face du spectateur. Sorry To Bother You transforme donc la colère et les inquiétudes en rire mais la terrible pertinence du portrait nous laissera tout de même avec les poils hérissés et la gorge nouée.
Deranged
Cette agressivité normalisée et cette indifférence (cet irrespect ?) de l’autre devenues la base de nos échanges sociaux seront les clefs du succès de notre héros, tour à tour attachant et détestable. Ce personnage principal animé par la soif d’argent et de pouvoir sera finalement la première victime de sa propre attitude. Jeune afro-américain, il devra sagement endurer les clichés et discriminations de la classe blanche dominante s’il veut pouvoir croquer un bout de la carotte. Boots Riley offre enfin un premier rôle au talentueux Lakeith Stanfield (aperçu dans Get Out) qui est ici accompagné de noms que l’on ne présente plus : Tessa Thompson, Steven Yeun, Armie Hammer, Terry Crews, Danny Glover… Niveau casting, l’on fait donc difficilement plus cool. Malheureusement, le développement souvent inabouti des personnages secondaires en fait des figures univoques assez fades car sacrifiées sur l’autel du discours du cinéaste. Le problème est d’autant plus grand que ces protagonistes finalement peu intéressants prennent parfois énormément de place dans la structure narrative du film, qui a alors beaucoup de mal à trouver son rythme (le comble pour un projet mené par un réalisateur musicien !). Ainsi, certaines lignes narratives se retrouvent étirées plus que de raison tandis que d’autres, à priori plus pertinentes, sont expédiées en quelques minutes.
Quoi qu’il en soit, pour un premier long métrage, Boots Riley fait preuve d’une liberté de ton et d’écriture assez folles pour au final accoucher d’une délicieuse série B qui n’a pas peur de briser les barrières pour aller gambader dans les champs de la SF et du fantastique dans sa dernière partie. Et même si le manque de budget se fait parfois ressentir lors de cet ultime segment, qu’il est bon de découvrir à l’écran un tel affranchissement des codes et des attentes ! Sorry To Bother You : un titre au doux parfum ironique donc, qui n’hésite pas à chambouler les acquis et à remuer le couteau dans nos plaies ouvertes que creuse chaque jour un peu plus la panique sociale environnante et la peur diffusée par les médias. Pour donner vie à son discours, le réalisateur use d’une mise en scène travaillée et parvient à utiliser au mieux le langage cinématographique pour mettre en images des séquences au potentiel visuel à priori limité (les nombreuses conversations téléphoniques passées par notre héros). Une fraîcheur bienvenue que l’on retrouve aussi dans la BO du film, composée par The Coup, le groupe du réalisateur. Tous ces éléments font qu’il se dégage de Sorry To Bother You une énergie électrisante et une originalité à toute épreuve.
Sous son masque de comédie indé délirante, Sorry To Bother You vomit une critique acerbe du capitalisme et des mouvements extrémistes qui régissent de plus en plus nos civilisations. En utilisant le genre, il dresse un portrait de l’esclavagisme moderne et du fossé toujours plus immense qui se creuse entre les différentes classes sociales, de cette ère sur-connectée mais qui, justement, ne connecte plus, ne communique plus, de cet individualisme dangereux… Autant d’éléments qui se mettent progressivement à définir le monde dans lequel nous vivons. Putain, c’est plus très drôle d’un coup.
critique originale : https://www.watchingthescream.com/tu-riras-moins-en-enfer-critique-de-sorry-to-bother-you/
Créée
le 29 janv. 2019
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