A 83 ans, comme Woody Allen dans un autre style, Ken Loach est fidèle à un créneau cinématographique et n'en déroge pas beaucoup : le cinéma engagé, militant, social ; alors bien sur ses films se ressemblent parfois ; mais alors qu'avec Woody Allen j'ai progressivement lâché prise au fil des ans et des films, je reste plus que jamais fidèle au réalisateur britannique.
Ses films parfois se ressemblent parfois, certes, mais on peut y voir un entêtement, de la persévérance. Une volonté farouche de maintenir le cap.
Au « pire » c'est bon au mieux c'est excellent !
Certains trouveront cela lassant, moi non car il y a tellement de choses à dénoncer qu'il faudrait même plus de Ken Loach dans le cinéma actuel.
Le cinéaste anglais filme toujours les mêmes thèmes sociaux, mais sous des angles et des approches différentes, cette fois contre l'ubérisation de la société et ces effets dévastateurs pour ceux qui travaillent dans ce type de compagnies qui pratiquent pour certaines, disons-le ouvertement un esclavagisme moderne (où l’on peut travailler 14 heures par jour en faisant des boulots difficiles, usant, sous payé, et où l’on est corvéable à merci).
Comme à son habitude Ken Loach s'attache avant tout, au-delà des grandes idéologies et des conséquences sociales de l’ultra-libéralisme qu’il dénonce, à nous brosser de magnifiques portraits. Car dans les œuvres de Ken Loach ce sont toujours les personnages qui nous marquent, nous touchent et qui sont le cœur du film ; là encore il s’attarde sur les « vrais gens » à travers des personnages attachants qu’il nous dépeint magnifiquement ; ces sans-grades issus de la classe ouvrière (prolétaires ou précaires) sont plus que réalistes, des individus frappés de plein fouet par le libéralisme et notamment les drames que cela engendre sur une famille (avec des parents qui se tuent au travail et des enfants difficiles à gérer, ici l'aîné, plus doué pour le dessin et les tags, qui sèche l'école et qui a du mal à communiquer avec ses parents trop souvent absents de la maison).
Et quand cela tourne mal et que les problèmes s’enchaînent on tombe facilement dans une sorte de spirale infernale dont on ne peut pas de défaire, lot de plus en plus de personnes issus des classes défavorisés et qui survivent comme elles peuvent. Surtout quand les fins de mois sont difficiles et que l’on n’arrive pas à joindre les deux bouts !
Ici Ricky ni vraiment salarié ni vraiment à son compte (dans une situation contractuelle ambiguë comme il en existe de plus en plus) et qui se démène pour faire le plus de livrai-sons chaque jour mais dont rien ne tourne comme il le souhaiterait et qui accumule pénalités et amendes Quant dont sa femme, Abby, qui s’occupe de personnes âgées ou handicapés, elle aussi rencontre bien des difficultés dans son travail, exploitée au maximum et dont les horaires de travail semblent sans fin.
« Sorry we missed you » est un film sombre, noir, plus qu’à l’accoutumée et Ken Loach semble lui-même de plus en plus pessimiste (déjà le film précédent « Moi Daniel Blake » était de cette veine, pas très gai et qui laissait apparaître une noirceur qui monte ici en-core d’un cran), alors qu'avant les réalisations de Ken Loach se finissaient souvent sur une note d'espoir. Là le constat paraît presque désabusé devant cette précarisation d’un nouvel ordre.
C’est touchant et émouvant, comme quasiment toujours, avec des personnages attachants joués par de remarquables acteurs (mais Ken Loach a le chic et le talent pour dé-nicher des comédiens souvent non professionnels mais toujours excellents).
Sans doute pas le meilleur Ken Loach mais un bon cru tout de même. Ceux qui aiment le réalisateur aimeront ce film car il n’a rien perdu de sa créativité pour toucher le spectateur et dénoncer les dérives de notre société.
Juste un petit bémol pour essayer d’être un peu objectif : à force de vouloir (à juste titre) dénoncer le libéralisme et ses méfaits Ken Loach a tendance à un peu trop forcer sur le trait et peut-être à noircir un tableau déjà bien sombre.
7,5/10