Il y a des œuvres comme ça, qui laissent en nous des marques indélébiles.
Quelques semaines après avoir vu le film je décide de lire la pièce de Tennessee Williams en anglais. D’abord pour avoir la joie de comparer les deux, mais aussi par envie de tester mes capacités à lire la littérature anglophone, mais ça, on s’en fiche un peu.
S’il y a un élément qui m’a bien plus marquée dans la pièce, c’est cette cruauté omnisciente qui se terre dans le jardin, entre les plantes préhistoriques et les fleurs carnivores. Williams place de courtes didascalies entre les tirades de ses personnages pour nous rappeler que le jardin monstrueux de Sebastian Venable, (figure centrale et absente de l’œuvre) est un personnage à part entière. Le jardin avec lequel nous nous familiarisons dès le début des deux œuvres est une entité dominatrice par l’esprit et la forme. Il grouille, se meut et chante. L’atmosphère qu’il dégage nous étouffe... déjà.
Puis il y a les mots lourds de Mrs Violet Venable, mère de Sebastian. Divinement interprétée par Katharine Hepburn. Son jeu m’a profondément dérangée mais de façon différente dans chacune des œuvres. L’actrice va chercher les failles de son personnage jusqu’à les étirer, les épuiser pour donner plus de profondeur à l’œuvre cinématographique sans pour autant révéler sa folie et son amour castrateur instantanément. Contrairement à la pièce, où Williams pose d’entrée de jeu le caractère de son personnage. La gestuelle et le visage de Kate Hepburn transpirent la cruauté envers sa nièce Catherine, qu’elle accuse d’avoir provoqué la mort de son fils Sebastian. Sebastian, nom que tous les personnages répéteront sans cesse. Mon fils, Sebastian. Sebastian, mon cousin. Mon fils et poète Sebastian. Il semble que le fils disparu soit plus présent mort que de son vivant. Sa vie et son être, décrits comme une statue athlétique, vertueuse et chaste par sa mère.
Dans les deux œuvres, le Docteur Sugar est le lien entre le film/la pièce et nous. Il est l’élément qui nous permet de garder notre lucidité (que perdent les personnages) dans ce drame foudroyant. Les yeux bleus rassurants de Montgomery Clift transpercent le noir et blanc pourtant sublime. Le jeune docteur est également le seul élément extérieur qui ait de l’influence sur le cercle familial des Venable/Holly. Lors de la séquence finale, c’est lui qui partage le dialogue et aide Catherine Holly à cracher la Grande Vérité.
Catherine Holly est jouée par Elizabeth Taylor. Je ne l’avais pas aimée dans La Chatte sur un Toit Brûlant qui est une autre adaptation de Williams. Ici, elle m’a pétrifiée. J’étais si happée par ses mots, sa voix faible, chevrotante, et puis la façon dont elle place ses inspirations dans son élocution, si happée j’étais, que j’ai senti son souffle sur ma joue. Ça n’a duré que le temps que je m’en aperçoive. Mais ça, c’est un moment de cinéma que l’on oublie pas.
Mon coup de cœur final porte sur le film. Car Mankiewicz a détourné de tous petits éléments de description et les a adapté brillamment ; comme l’ascenseur quasi impérial de Mrs. Venable dont la description est légèrement faite dans la pièce. Le réalisateur a su utiliser cet élément pour souligner la personnalité cruelle et castratrice de la Reine Mère. Coup de cœur également pour la mise en scène du final. Les gros plans sur le visage de Taylor et le "split screen flashback" illustrant ses mots contribuent au crescendo. La manière dont Mankiewicz interrompt subitement le flashback par le cri strident de Catherine, ce "HEEEEEEEELP" qui m'a glacée jusqu'à l'os, et me glace encore lorsque j'y pense. Puis ce plan, sur les mains de Mrs. Venable refermant le livre de poésie inachevé de son fils, image plus que symbolique. Et enfin, ces derniers plans sur son personnage de mère déboussolée, torturée de folie et de refus d'admettre. Cette double chute de l'histoire, nous ne l'avons pas chez Tennessee Williams.
Et des moments de cinéma comme celui-ci, on ne les oublie pas.