"Il n'y a rien à réparer ici"
Un long plan inaugural sur Ruben, batteur de rock, torse nu, aux cheveux blonds peroxydés. Il accompagne Lou, chanteuse/guitariste vociférant au micro. Un concert de grunge quelque part aux...
le 8 déc. 2020
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Ce film est malin.
Vraiment très malin je trouve…
Ça se ressent dès les premiers plans.
Écran noir. Guitare grinçante. Ruben apparait, torse nu, assis derrière sa batterie.
Il est concentré. Il attend.
Il attend le moment où il va falloir tout donner.
Le cadre se resserre progressivement. On intériorise sa situation.
La guitare tient alors la note. Ruben relève les yeux.
Il est prêt.
Sa tête se met à osciller en rythme avec les errances de la guitare.
Il ferme les yeux. Il se perd dans l’instant.
Contrechamp. Ruben a face à lui la chanteuse et guitariste du groupe. En flou.
Ce n’est pas elle le sujet.
Au fond ce n’est même pas Ruben non plus.
Non. Le sujet c’est ce que ressent Ruben.
Ce qu’il perçoit.
Ces sons de métal.
Une notion amenée à se transformer au fur et à mesure du film au point de le contenir à lui tout seul.
Ah ça !
Voilà ! Du cinéma. Du vrai. Du comme je l’aime !
Cette intro tu ne peux la faire qu’en cinéma et la vivre vraiment qu’ainsi.
Même ma description au fond ne fait qu’esquisser vaguement ce qu’elle est vraiment.
Car cette introduction est clairement une introspection par les sens.
Et si je la trouve si chouette c’est justement parce qu’elle est à l’image de l’ensemble de l’œuvre. Elle est un empire des sens.
Toutes les scènes qui suivront ne seront que ça. Une exploration à travers les sens.
Des images. Des caresses. Des gestes précis.
Et surtout des sons.
Des sons qui soudainement s’étouffent.
…Et c’est à partir de là que tout un équilibre se met à vaciller.
En allant voir ce film je n’en connaissais rien du tout.
Je ne savais pas ce qui allait arriver. Et pourtant tout a su prendre sens dès le départ.
Aucun plan n’est gâché. Aucune information n’est à laisser de côté.
Tout ce qui a été vécu durant les premières minutes rentre soudainement en écho avec tout ce que l’on voit.
Plus rien n’est pareil. Un seul sens manque et toute l’harmonie est perdue…
Un seul sens manque et plus rien n’en a alors… De sens.
Par bien des aspects, « Sound of Metal » ne raconte vraiment pas grand-chose d’exceptionnel.
D’aucuns pourraient même lui reprocher de suivre un parcours au fond bien misérabiliste.
Un musicien bohème qui perd l’ouïe devient soudain un musicien qui perd la musique, donc le plaisir, mais aussi l’argent, donc la bohème… Et la fille qui va avec.
Tout est amené à s’écrouler. Plus rien ne semble pouvoir être comme avant.
Il y a d’abord le déni. La colère. Puis à nouveau le déni.
Mais ce qui fait que ce film n’est pas un Dardenne c’est qu’il fait tout transiter par les sens.
Et bien au-delà des sons c’est aussi par les cadres que Darius Marder assure une véritable emprise par les sens.
Cela passe par un Ruben qui chancèle avec un cadre qui le perd dans un parking bien large et bien vide quand Lou s’en va. Un parking qui n’a d’ailleurs plus rien à voir avec l’image presque charmeuse et roots des premiers temps.
Un Ruben au regard qui se perd.
Un Ruben bientôt contraint de parler le regard en biais…
Il y a aussi un véritable art de la musicalité dans ce film.
Pourtant la musique au sens littéral du terme est pratiquement absente des deux heures que durent ce « Sound of Metal ».
C’est que la musique est ailleurs.
Dans les silences. Les paroles brèves. Les répétitions.
Prenez cette scène de la première discussion entre Ruben et Joe par exemple…
Il y a dans ces échanges quelque-chose de presque magique où tout se dit dans les silences.
C’est le cas au début de l’échange quand Joe entame la conversation.
« Comment tu vas Ruben ? »
Ruben dodeline quelque peu de la tête. Peine à rester en place.
« Ça va.
– Tu es toxicomane ?
Ruben marque un long silence. Son regard fuit. On ne sait plus si c’est pour lire l’écran ou pour fuir la réalité.
– Yep.
– Tu prenais quoi ?
– De tout. Surtout de l’héroïne…. De l’héroïne.
Le regard de Ruben se fige sur celui de Joe.
– Tu as eu envie d’en prendre depuis que tu es sourd ?
Ruben réfléchit. Il regarde dans tous les sens. Le silence s’étend de manière presque interminable. Il finit par répondre.
– Aujourd’hui n’est pas un bon jour… »
Ici, l’essentiel s’est clairement dit hors des mots. Il s’est dit dans les yeux. Dans les moments de réflexions. Dans les non-dits.
Et à cela s’ajoute une musicalité qui s’exprime notamment sur la fin de l’échange.
« Ça fait longtemps que t’es clean ?
– Quatre ans.
Ruben associe à sa parole un geste vif, avec quatre doigts tendus vers le ciel.
– Quatre ?
– Mouais.
– Et tu as besoin d’aide là maintenant ?
Ruben ne tient subitement plus en place.
– Je crois que je devrais vérifier comment va Lou.
– Ça fait longtemps que tu es avec elle ?
Il s’arrête dans son geste. Il se rassoit.
– Quatre ans. »
Même geste, les doigts tendus vers le ciel.
Tout un parcours et toute une situation viennent d’être dressées, juste avec ce motif des quatre ans.
Juste avec ces ruptures. Ces silences.
Elle est là la putain de musicalité de ce film.
Et ça sonne comme une mélodie à mes oreilles.
...
Malgré tout j’avoue que passé le premier tiers, l’emprise du film a commencé à se desserrer sur moi.
On rentre dans une autre phase.
Le commencement d’une nouvelle vie.
L’idée qu’au fond on va désormais assister à quelque-chose d’un brin pédago.
« Le dur apprentissage du handicap de Ruben » un peu comme un « Patients » de Grand corps malade (en plus beau néanmoins.)
Mais il a suffi que Ruben refasse du tambourin sur le métal d’un toboggan pour que soudain les sens reprennent le dessus et surtout de l’intérêt.
Le dernier tiers opère une sorte de synthèse de parcours.
Il y a eu la vie d’avant. Le choc. La nouvelle vie… Et puis enfin…
…La tentative de retour à la vie d’avant.
Or là, encore une fois, « Sound of Metal » revient à ses premières forces.
Le talent pour jouer des cadres, des sons, des dissonances… Et surtout des situations où l’essentiel se trouve dans les silences et les gestes plutôt que dans ce qui est vraiment dit.
Moi par exemple, ce moment dans le lit entre Lou et Ruben, je l’ai trouvé une fois de plus merveilleux.
Ils se sont retrouvés. Ils sont heureux.
Mais ils ont beau essayer de faire comme avant, plus rien n’est justement comme avant.
Ruben a ses implants. Lou est retourné à un look plus sage.
Plus de van mais un lit bien douillet. Lou qui se cale bien et qui à besoin d’eau…
…Et sitôt Ruben évoque la possibilité de reprendre les concerts qu’il comprend.
Elle a beau lui avoir dit oui qu’il a entendu la dissonance.
C’est à ce moment là qu’il comprend que le passé est mort ; qu’il est vain de revivre comme avant.
Un long silence s’installe avant qu’il puisse enfin le dire…
« C’est OK. Lou… » comme un renoncement.
Cette scène, une fois de plus, c’est un bijou.
...
La musicalité de ce film est tellement limpide que ce dernier aboutit d’ailleurs sur un final certes attendu mais qui présente au moins ce mérite d’un sentiment d’harmonie conclusive qui, moi, m’a beaucoup parlé.
D’un seul coup, le sens manquant qui était perçu comme le sens central et essentiel devient le sens de trop. Il devient le son de métal qui rompt l’harmonie.
Et sitôt on l’ôte que tout devient plus agréable. Sans le son, un clocher reste beau à regarder ; des jeux d’enfants restent toujours aussi charmants à observer , la lumière dans les arbres a toujours la même charme envoutant…
Alors oui. Il y a beaucoup d’évidences là-dedans.
Mais la partition a eu ce mérite de l’élégance. Ce mérite de l’harmonie.
Ce mérite de l’émotion.
Et le plaisir que l’on peut prendre à un spectacle tient peut-être parfois qu’à ça.
…A cette simple emprise des sens qu’un film est capable d’exercer sur nous.
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Créée
le 19 juin 2021
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