Soupçons est l’adaptation du roman criminel Before the Fact de Francis ILES. HITCHCOCK adore le livre (publié en 1932) mais va devoir contourner la censure car il y est beaucoup question de meurtre, de suicide et d’adultère. Pour cela, il décide de raconter l’histoire du point de vue de la femme, l’époux n’étant infâme que dans son imagination enflammée. Et pour citer l’écrivain britannique (de son vrai nom Anthony BERKELEY COX) :
Le soupçon est quelque chose de ténu, de si impalpable que le moment exact de sa naissance est difficile à déterminer
L’épouse d’HITCHCOCK (Alma REVILLE) et sa plus proche collaboratrice (Joan HARRISON) vont rédiger une première ébauche. Mais c’est l’illustre Samson RAPHAELSON qui va développer le scénario et les dialogues en recentrant l’intrigue sur le couple, et en supprimant tous les éléments susceptibles d’heurter le Hays Office, organisme de censure à Hollywood.
Pour le rôle à contre-emploi du mari soupçonné de meurtre, le cinéaste pense au charismatique et populaire Cary GRANT ; tandis que le studio RKO impose Joan FONTAINE, propulsée au rang de star depuis Rebecca (l’actrice Michèle MORGAN avait été un temps pressentie). Le reste de la distribution est majoritairement constitué d’acteurs anglais exilés aux Etats-Unis à cause de la guerre.
Tandis que le tournage commence, le scénario connaît des remaniements, et surtout, le dénouement n’est pas encore arrêté. Finalement, le happy end soudain et précipité de Soupçons, en plus de contenter le public des previews et la censure, satisfait HITCHCOCK qui considère qu’un scénario se rapproche d’une nouvelle qui ont en commun l’unité et la rapidité et qui nécessite chacun un revirement final.
Avec ce long-métrage, le maître du suspense retrouve le mélange des genres qu’il aime tant, passant de la comédie au thriller dans un même film. Cette rencontre de la romance et du drame est personnifiée par le couple vedette du film : Joan FONTAINE exprime parfaitement la lutte interne entre certitude d’un sentiment amoureux et doute sur la véritable identité de son mari, tandis que Cary GRANT apporte au film légèreté et distance ironique.
Lors de sa sortie aux EU en novembre 1941, Soupçons rencontre tout de suite le public ainsi qu’une grande partie de la critique.