"Sous le signe du taureau" est un des plus gros échecs commerciaux de Jean Gabin.
Et je viens de parcourir rapidement les critiques sur SC et les notes vont de 1 à 6 max ... Bien...
Et pourtant j'aime beaucoup, beaucoup ce film. A l'instant, j'hésite entre 8 et 9 ...
Mais parlons d'abord du film qui est l'illustration du célèbre adage de JFK : "la victoire a cent pères mais la défaite est orpheline" ou encore, plus près de nous, celui de Georges Clémenceau (en substance car je n'ai pas réussi à trouver la phrase exacte) : "il y a toujours beaucoup de vainqueurs mais face à la défaite, on est toujours seul".
Albert Raynal est un ingénieur qui dirige une usine spécialisée dans des technologies de pointe ; ici et pour l'époque, il s'agit de fusées expérimentales. A la suite d'un n-ième échec, les banques dont la famille Laprade dont est issue son épouse, Christine, se lassent et lâchent Albert Raynal. Elles le poussent soit à la faillite soit à reprendre une production moins risquée de produits plus facilement rentables. De surcroît, la famille Laprade pousse Christine au divorce pour préserver ses intérêts.
Albert Raynal qui est une force de la nature, un fonceur, un taureau ! ne se décourage pas et fait le tour de ses connaissances en quête d'une providentielle solution.
Gilles Grangier met en scène de très beaux personnages comme celui d'Albert Raynal (Jean Gabin), formidable en homme que rien ne peut décourager quitte à faire des petits coups (comme disparaître quelques jours) pour tester l'entourage et évaluer la résistance des liens en fonction de l'inquiétude...
C'est un taiseux et un foutu caractère face à son épouse Christine (Suzanne Flon) mais aussi face à son ancienne maîtresse Rolande (Colette Déreal) ; c'est aussi un taiseux face à son personnel pour éviter de les inquiéter et pour les protéger. Même au bout du rouleau, il porte beau. Il garde tout en lui et finalement découvre lors d'une discussion avec sa femme, stupéfait, qu'au lieu de protéger, il fait souffrir : "c'est drôle comme les hommes qui ne veulent faire souffrir personne font souffrir tout le monde"
Il va faire une sorte de retour sur son passé en refréquentant d'anciens condisciples d'école ou d'armée pour découvrir pour l'un, l'indifférence et pour l'autre, l'argent qui a trop d'odeurs. Pour ce dernier, Michel Audiard a concocté une phrase culte que prononce Gabin, écœuré face à son ancienne relation qui s'en est mis plein les poches dans la ferraille :
"Ton argent pue terriblement... Tu ne sens pas la charogne, tu pues la bêtise, la connerie ! Et si ça se trouve, t'as même pas de cerveau... et si on regarde au-dessus de ta tête, on doit voir tes dents !
Suzanne Flon joue le rôle de Christine, l'épouse d'Albert qu'elle s'apprête aussi à lâcher par lassitude et sous la pression de sa famille. Elle aussi sera amenée à faire un retour sur elle-même. Pour comprendre. Elle ira même rencontrer Rolande, l'ex maîtresse et se mesurera à elle, debout dans le hall du restaurant. La scène est grandiose. Elle, riche héritière Laprade, née avec une cuiller en or dans la bouche, face à Rolande, patronne d'un restaurant huppé, qui se bat tous les jours pour maintenir avec succès son affaire. La confrontation est dure, lucide, sans gants sinon ceux de la bienséance mais aide Christine à décrypter, enfin, son sauvage de mari.
Les autres rôles sont ceux de la famille Laprade et de la banque où on trouvera sans réelle surprise un jeune Michel Auclair, un Jacques Monod, affublé d'un gros cigare (pour ceux qui ne comprendraient pas qu'il s'agit d'un banquier...), Raymond Gérôme en intrigant frère de Christine.
La réalisation et la mise en scène de Gilles Grangier est simple mais efficace pour mettre face au monde industriel et surtout de la recherche expérimentale, le monde indispensable des investisseurs. Les scènes entre Suzanne Flon et Jean Gabin sont très réussies et empreintes d'une grande émotion qui n'a pas besoin de tellement de mots pour s'exprimer.
J'apprécie (au moins) deux choses dans ce film :
D'abord le ton volontairement neutre du cinéaste, ni manichéen ni polémique, relatif à ce que j'appellerais simplement un incident de parcours dans un processus industriel.
Et puis, surtout les deux personnages joués par Jean Gabin et Suzanne Flon qui savent faire un pas l'un vers l'autre pour se redécouvrir. Et ça, c'est beau.
Donc, ce sera 9.