Au-delà de l’évident malaise que distillent les péripéties de l’histoire en elles-mêmes, c’est le ton même du film qui pourraient troubler y compris le spectateur qui n’a pas besoin qu’on lui tienne la main. Seidl se met lui-même dans des zones très risquées, mais il déroule assez tranquillement et nonchalamment son récit en plans fixes rigoureux, alors qu’il est quand même question de pédophilie la plus sordide. En réalité cette distance nous oblige à regarder les choses dans leur réalité sensible, sans discours et sans les effets de manche réconfortants qu’appelle normalement ce genre de sujet. On regarde les choses se dérouler dans les cadres qui saisissent admirablement bien ces coins perdus en Roumanie, dans leur sinistre burlesque. On se surprend même à ne pas trouver binaires toutes les situations du récit, et c’est là où l’autrichien corse les choses.
Mais là où il aggrave encore plus son cas, c’est la distance ironique qu’il ménage. Cet imprudent se permet même de trouver le burlesque dans le plus sordide, sans se départir de sa justesse de ton. Ainsi, notre personnage principal, prisonnier de ses pulsions pédophiles mais n’étant pas non plus un monstre 24h/24, voit un hématome dans le bras d’un des enfants à qui il enseigne le judo. Il va voir les parents qu’il soupçonne d’être violents (!) et, emporté dans son élan de bienfaiteur, il va même jusqu’à menacer d’appeler la police (!!). Ou encore, à la fin, la tragique et amusante prise d’assaut par la foule vengeresse d’une cité de Sparte aménagée pour l’occasion, foule qu’on croirait athénienne même si composée essentiellement de villageois roumains.
En moraliste plein d’humour noir, Ulrich Seidl dépeint la trajectoire d’hommes qui retrouvent une énergie vitale grâce à leurs pulsions les plus glauques. Car c’est aussi la trajectoire du père qui, comme dans une scène des Chansons du deuxième étage, est en plein démence mais retrouve goût à la parole en se remémorant quelques bons vieux slogans nazis.
Je me suis presque demandé en sortant de la salle si ce spectacle était nécessaire, puis j’ai croisé trois filles qui sortaient de la salle d’à côté qui projetait un film qui s'appelle « L’amour et les forêts ». L’une d’entre elles parlait de violence incroyable pour décrire la manière dont le mari parlait à sa femme. Du coup j’ai pensé que c’était pas plus mal que ces deux types de films puissent coexister.