Pique, épique, école et drame
En 1959, Kirk Douglas n'est pas content, on lui a préféré Charlton pour le rôle de Ben-Hur (en même temps, niveau prestance antique et port de la jupette, c'est normal) et il a refusé de se consoler avec Messala, tant pis pour eux les salauds ! Ils vont bien voir, il va leur produire un peplum encore plus gros dans leur gueule de cons et ça leur fera tellement les pieds qu'ils pourront plus rentrer dans leur cothurnes !
Kirk embauche donc Anthony Mann pour un projet plus que conséquent : l'épopée de Spartacus sur un scénario de Dalton Trumbo... Bon après, ça ne se passe jamais comme on veut, Kirk vire Anthony pour recaser Kubrick avec qui il vient de tourner les Sentiers de la gloire, ça tombe bien le jeune trentenaire vient de se faire dégager de la Vengeance aux deux visages par un Brando en mal d'expériences de cinéaste, tout le monde est content... Enfin, pas des masses non plus, Stanley, il aime pas débarquer au milieu d'un scénario, il aime pas avoir un producteur plus puissant que lui, et donc, il aime pas ce film.
Plein de défauts dans Spartacus d'ailleurs, une histoire bien longue mais qui sacrifie quand même tous les seconds rôles de la troupe de Spartacus, très mal utilisés (heureusement, il y a les Romains qui compensent)... Les combats de gladiateurs sont assez moyens (heureusement, les grandes batailles sont meilleures), et le scénario est d'une incroyable lourdeur didactique.
Alors, l'idée, c'est que l'esclavage, c'est pas bien, donc du coup (et on se demande bien pourquoi), tous les esclaves sont de mignons agneaux obéissants à leur gentil pasteur au menton troué, l'ensemble de leur périple ressemble à un long pique-nique, avec acclamations dans les villes pillées et barbecue à volonté. Et pourtant, on a le droit à dix kilos de pathos pour montrer que, quand même, ils souffrent parfois et voilà un plan de huit minutes sur deux parents qui enterrent un nouveau-né avec la colonne qui avance en fond d'écran au soleil couchant... Particulièrement palpitant...
Dalton Trumbo n'est pas un scénariste très fin, pour le dire autrement, c'est quand même souvent un gros lourd, et ce film ne change pas ses habitudes. Pour la petite histoire, Kirk décida finalement de l'imposer sous son vrai nom au générique (ce que Preminger avait déjà annoncé vouloir faire pour son Exodus qui sortira peu après), histoire d'enterrer un peu le mauvais souvenir du Maccarthysme, ce qui causera d'ailleurs quelques manifestations de boycott de la part de bons citoyens peu pressés de voir un des Dix d'Hollywood retrouver un travail à visage découvert...
Pour revenir au film, il reste tout de même les éléments sympathiques habituels des peplums qui se respectent : des détails de vie quotidienne dans une reconstitution pourtant approximative, surtout dans l'école de gladiateurs, une bonne scène de javelot, un petit quelque chose d'épique, tout de même et surtout un casting de haut vol : Kirk, soyons honnêtes, fait du Kirk, et c'est pas ici que ça passe le mieux, mais bon, tant que ça passe... Non, ce qui est bien c'est de retrouver tous ces habitués du genre : Jean Simmons au physique idoine, Charles Laughton plus gourmand que jamais, Peter Ustinov, magistral de veulerie et méritant haut la main son Oscar du meilleur second rôle, Tony Curtis, à qui l'ambiguité sied bien... Même John Gavin est pas mal en Jules Cesar jeune, et puis, comme quota obligatoire d'acteur shakespearien, on a Laurence Olivier qui fait le job.
L'ensemble complote, trahit, se déteste, se sert du Sénat comme d'un terrain de jeu et des légions romaines comme des pions de leur échiquier et ça, franchement, ça sauve un film qui se perdait dans les méandres d'une romance omniprésente particulièrement niaiseuse.