Un petit coin de paradis...
C'est étrange, durant les cinquante premières minutes, je me suis dit que j'étais tombé sur un documentaire ordinaire. Avec un intérêt certain, mais une manière d'aborder le sujet qui ne m'intéressait guère. Que je trouvais banale. Un peu comme un documentaire qui vous attire, mais qui ne vous marque pas. Puis, un tournant. D'un coup, le réalisateur parvient à libérer la parole des enfants, et libère par la même occasion sa manière de filmer. Le documentaire devient esthétique et touchant, beau et poétique, tout en grâce, tout en douceur, tout en dureté.
Les cinquante premières minutes nous montrent la vie de Spartacus et Cassandra, deux Rroms d'une dizaine d'années, de leur tutrice, Camille, et de leurs deux parents. Ce documentaire nous montre la pauvreté dans laquelle vivent les parents, leurs contradictions, leurs difficultés, leur incapacité à vivre leur vie. Alors que dans le même temps, les enfants développent une existence qui se rapproche de la normalité auprès de Camille, aller à l'école, manger, aller se coucher, ne pas avoir à faire la manche. Ne pas avoir à galérer pour vivre, juste galérer pour s'insérer, pour s'adapter. On voit la vie comme elle est, ou comme elle était. Une vie de famille chaotique qui se termine.
Les trente dernières minutes nous montrent, quant à elles, l'adaptation, le détachement des enfants vis-à-vis de leurs parents, lorsque Camille leur propose de vivre avec elle à la campagne, sans leurs parents, dans une "vraie" maison. Juste Spartacus, Cassandra, et Camille. J'ai envie de faire le lien avec le livre "La Place" d'Annie Ernaux, transfuge de classe, quand celle-ci nous indique que pour passer d'une classe sociale à l'autre, il faut apprendre à détester ses parents, leur vie, sa précédente vie, ce qui faisait ce que nous étions. Il faut prendre de la distance, et accepter sa nouvelle vie.
C'est un peu ce que nous retrouvons ici. Des enfants qui se détachent de leurs parents, qui comprennent que leurs parents ne peuvent plus rien pour eux, et qu'ils ne peuvent plus rien pour leurs parents. Qu'ils vivent dans deux mondes distincts. Que la solution est la séparation. Que leurs mondes sont trop différents. Que la solution est d'être égoïste, de choisir sa propre existence. C'est dur. Non pas seulement de le voir, de le comprendre nous-même, mais de savoir que cela est compris par les enfants, qu'ils en sont conscients, qu'ils le disent. L'entendre de leur propre bouche, le fait qu'ils se l'avouent à eux-mêmes. Qu'ils comprennent qu'ils se doivent de se séparer d'eux, de vivre sans eux, d'avoir à fermer les yeux, de faire semblant, d'oublier, d'avoir à accepter de choisir le "paradis", leur "paradis", mais que celui-ci est le leur, que leurs parents ne s'y trouveront pas, que jamais la famille ne pourra partager ce paradis. C'est d'une dureté sans nom de l'entendre dire par les enfants, de se dire qu'ils le comprennent avant nous.