Début 2019, Kevin Feige, maître stratège de l’univers MARVEL, tisse un plan subtil en annonçant que le deuxième Spider-Man de son Marvel Cinematic Universe (MCU) marquerait non pas le début de la Phase 4, mais la conclusion de la Phase 3. Cette décision peut sembler contre-intuitive à première vue. Après le climax monumental de Avengers : Endgame, ce choix pouvait paraître hors de propos. Après tout, Avengers : Endgame portait un nom évoquant une fin définitive et cataclysmique, le nœud terminal de la saga. Cependant, ce changement de paradigme s’inscrit dans une stratégie narrative habile, cette suite va être utilisé comme un pont délicat dans la toile complexe du MCU, un épilogue.
Le film, bien que fonctionnant comme un épilogue de The Infinity Saga, s’autorise également à semer les premières graines de ce qui deviendra The Multiverse Saga. Les scènes post-générique, ces fils d’araignée tressés avec subtilité, apportent une nouvelle texture à l’ensemble : Nick Fury en mission extra-terrestre, la révélation du rôle des Skrulls, et surtout, les prémices d’une réalité fragmentée.
Le retour de Jon Watts à la réalisation, accompagné de Chris McKenna et Erik Sommers au scénario, témoigne d’une continuité recherchée. Michael Giacchino est lui aussi fidèle à son rôle de compositeur, ajoutant à cette continuité et enrichissant l’univers sonore.
L’été 2019, Spider-Man : Far From Home sort au cinéma et consolide le rôle pivot de ce personnage dans le MCU après The Infinity Saga.
Le titre Far From Home suscite une attente : celle de découvrir Spider-Man hors de sa zone de confort, explorant de nouveaux horizons et redéfinissant sa dynamique de super-héros. Pourtant, ce déplacement géographique ne se traduit pas par une véritable exploration des capacités et du potentiel visuel du personnage. Peter Parker, loin de New York, est aussi loin de ce qui fait l’essence de Spider-Man : l’interaction spectaculaire avec l’architecture urbaine. Les décors européens (Venise, Prague, Londres) deviennent des toiles de fond statiques, dépourvues de verticalité et d’opportunités pour le tisseur d’évoluer pleinement. Contrairement à son habitude de virevolter dans les airs, Peter semble ici cloué au sol, un comble pour un personnage dont les mouvements devraient évoquer la grâce et la liberté d’une araignée en pleine chasse.
Le cadre du voyage scolaire renforce une ambiance de teen movie. Si ce choix peut séduire une tranche plus jeune du public, il apparaît en décalage après les événements titanesques et dramatiques de Avengers : Endgame. Le film opte pour une légèreté qui, bien que compréhensible comme une pause émotionnelle, semble étouffer les enjeux potentiellement profonds du récit. Les personnages secondaires, les lycéens, comme Ned, MJ, Flash et Betty Brant, bien que sympathiques, n’apportent pas de réelle profondeur. Heureusement que le professeur Harrington est encore là pour me décrocher quelques sourires, il est d’ailleurs rejoint par le professeur Dell tout aussi loufoque.
La prestation de Tom Holland, Zendaya et Jacob Batalon s’inscrit pleinement dans le registre d’un teen movie léger, mais cette approche semble trop enfantine au vu des enjeux. Ensemble, le trio donne l’impression d’être déconnecté, laissant une impression de légèreté presque déplacée. Leurs interactions relèvent davantage de l’humour facile que d’une contribution significative à l’évolution de Peter Parker. Même la romance naissante entre Peter et MJ, pourtant centrale dans l’intrigue, manque de mordant.
L’un des thèmes centraux du film est le deuil de Tony Stark, mentor et figure paternelle pour Peter. Ce thème, riche en potentiel, est traité de manière honnête mais parfois superficielle. L’absence de Tony agit comme un vide dans la toile de Peter, un vide que le jeune héros doit apprendre à combler.
La relation avec Nick Fury et Maria Hill apporte une dynamique différente, plus froide et exigeante. Ce nouveau duo, toujours campés par Samuel L. Jackson et Cobie Smulders remplacent l’ancien duo de Iron Man et Happy pour l’homme araignée. Fury, en particulier, adopte une approche moins protectrice, laissant Peter face à des choix existentiels : embrasser pleinement son rôle de héros ou revenir à une vie d’adolescent ordinaire. Cette pression reflète la dure réalité des responsabilités, mais elle est atténuée par des moments de comédie qui nuisent à la gravité du dilemme.
Quentin Beck, alias Mysterio, entre alors dans la vie de Peter Parker comme une figure paternelle alternative, mais dévoyée. Jouant sur une ressemblance physique avec Tony Stark, Jake Gyllenhaal livre une performance captivante, alternant entre bienveillance apparente et manipulation pernicieuse. Le concept de Mysterio, basé sur l’illusion et la tromperie, est exploité intelligemment, notamment dans la fameuse séquence de cauchemar où Peter est perdu dans un labyrinthe de visions. Cette scène, véritable moment d’éclat, illustre à merveille le potentiel visuel de Mysterio, mais elle reste une rareté dans un film qui manque cruellement d’ampleur.
Si le film excelle dans certaines idées visuelles, comme le cauchemar de Spidey, la majorité des scènes d’action manquent de grandeur. Les affrontements avec les élémentaux, bien qu’intéressants sur le papier, souffrent d’un manque de mise en scène inspirée. La caméra, souvent statique ou trop proche des personnages, ne parvient pas à capturer l’ampleur des enjeux ni la complexité des pouvoirs de Mysterio. De plus, les environnements européens, pourtant riches en histoire et en architecture, ne sont pas pleinement intégrés dans l’action. Là où New York devient un personnage à part entière dans d’autres films Spider-Man, les villes européennes semblent ici simplement décoratives.
Spider-Man : Far From Home conclut la The Infinity Saga en s’attachant davantage à l’intime qu’à l’épique. Ce choix peut être vu comme une araignée rétrécissant sa toile pour se recentrer sur elle-même. Si le film manque parfois de profondeur et d’impact visuel, il conserve une certaine sincérité dans son exploration des doutes et des failles de Peter Parker. La prestation de Jake Gyllenhaal et la séquence cauchemardesque restent des points forts dans une production qui, sans être mémorable, réussit à maintenir une cohérence thématique. Spider-Man : Far From Home est une toile imparfaite, mais elle contribue à étendre l’univers de Spider-Man et à préparer le terrain pour les futurs développements du MCU.