Sept ans après sa création par Brian Michael Bendis et Sara Pichelli, le jeune Américain aux origines latinos et africaines Miles Morales a droit à sa propre adaptation cinématographique. Première version « multiculti » de Spider-Man, c’est à lui que revient l’honneur d’emmener le premier film d’animation de l’univers Marvel prévu pour le cinéma. Pour le meilleur, ou presque.
Spider-Man est de retour, et avec lui, plusieurs bonnes nouvelles. Premièrement, il ne s’agit pas de la suite du difficilement supportable Spider-Man: Homecoming avec lequel le MCU atteignait le sommet du pire. Ensuite, le film ne doit rien à Kevin Feige (producteur et tête « pensante » de Marvel Studios) mais beaucoup au tandem tout juste éjecté de Solo Phil Lord & Chris Miller (coscénaristes et coréalisateurs de Tempête de boulettes géantes, 21 et 22 Jump Street et La Grande Aventure Lego), crédités ici comme producteurs et scénariste (pour Phil Lord). Surtout, il s’agit d’un film d’animation, médium qui demeure le plus gratifiant en termes d’adaptations super héroïques pour des raisons évidentes de potentialités infinies (pour s’en convaincre, il suffit de comparer la qualité moyenne des DC Animated Movies à celle des adaptations en prises de vues réelles). Mais si cette nouvelle mouture réjouit à plus d’un titre, ce film réalisé à six mains n’est pas pour autant dénué de travers et n’échappe pas à son époque, où le premier degré figure en tête de liste des espèces menacées.
Que ce soit clair : ce Spider-Man : New Generation (traduction idiote de Spider-Man: Into the Spider-Verse) déborde de qualités et s’avère majoritairement euphorisant. Le premier choc est visuel. Outre l’animation soignée et réellement innovante, la patte graphique traduit un véritable amour pour le support d’origine, allant jusqu’à reproduire la trame de l’offset, les effets de flou et de décalage dus à l’impression grossière typique des premières décennies de publication. Mais Bob Persichetti, Peter Ramsey et Rodney Rothman ne se contentent pas de cet hommage somme toute facile, ils font également montre d’une inventivité rare : jeu permanent sur les angles, nombreuses incrustations de phylactères, de cartouches et d’onomatopées, mutations du cadre en planche, en bande ou en case. Les idées sont légion et l’ensemble s’avère parfaitement lisible, bien que soutenu par un rythme effréné. Nous n’avions plus assisté à pareille tentative d’hybridation des médiums depuis le génial Scott Pilgrim vs. the World.
Loin de se contenter de soigner son écrin, Spider-Man : New Generation déploie un scénario habile en s’inspirant d’une idée de Dan Slott. À l’origine d’un run de « The Amazing Spider-Man » publié en 2014, le scénariste imaginait une convergence de multivers et, par conséquent, une multiplication des itérations de Spider-Man selon le crédo « Every Spider-Man ever is needed to save the day! ». Ici, la collision entre plusieurs univers est causée par les manipulations de Wilson Fisk, alias le Caïd, qui tente de remplacer sa femme et son enfant décédés. C’est ainsi qu’à peine gagné par ses nouveaux pouvoirs, le jeune Miles Morales se retrouve coup sur coup confronté à la mort du Peter Parker de son monde et à la rencontre de cinq autres variantes du personnage, toutes issues d’un monde parallèle. D’emblée, la présentation de Peter Parker est l’occasion d’une vanne sur la multiplication ad nauseam des récits d’origine. Une vanne qui sera d’ailleurs répétée au fil de la multiplication des personnages. Mais sous ses airs rigolards, le récit parvient habilement, et discrètement, à construire une origin story de grande qualité. Phil Lord a parfaitement compris que c’est moins l’origine du personnage en tant que telle que la manière avec laquelle les nombreux (micro)évènements fondateurs s’intègrent dans le récit global qui compte. L’origine ne fait pas l’histoire mais l’histoire fait l’origine. Sur ce point, la réussite est exemplaire.
Évidemment, le concept des multivers permet son lot de folies, notamment visuelles lors d’un final qui lorgne du côté de l’abstraction et qui renvoie le Doctor Strange de 2016 à ses gammes. Malheureusement, il ouvre également grand la porte à l’autoréférence. Une blague sur la danse tant décriée de Peter Parker dans le troisième opus signé Sam Raimi par-ci, un tacle sur l’utilisation abusive la réplique culte (« Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ») par-là, les appels du pieds aux fans sont innombrables. Pour sa défense, le scénario peut jouer la carte de l’humour méta en toute légitimité, la rencontre entre les différentes versions du personnage conduisant, de fait, à un discours méta réflexif. Mais si la cohérence diégétique est effectivement sauve, il n’en demeure pas moins que cette dimension continue d’enfoncer la pop culture dans une postmodernité incestueuse. Cela devient particulièrement problématique lorsque la présence de certains personnages s’explique davantage par les gags référentiels qu’ils permettent que par ce qu’ils amènent concrètement au récit (concrètement, Peni Parker et Spider-Cochon sont utiles lors d’une seule séquence, tout comme Spider-Man Noir qui ne fait pratiquement qu’amener un jeu chromatique). Là où Edgar Wright dépassait le simple humour référentiel en transformant le montage en puissant ressort comique (pour ne citer qu’un exemple), les gags de Spider-Man : New Generation, aussi efficaces soient-ils, relèvent majoritairement de l’entre-soi complaisant.
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