Critiques croisées de Mortal Engines et Spider-Man : New Generation suite à cette article : Peter Jackson : « Il n'y a plus assez de films originaux à Hollywood. »
Sources : http://shin.over-blog.org/mortal-engines_spiderman-new-generation.html
Réagissant à l'accueil plutôt glacial réservé à sa dernière production en date (7,5 millions de dollars outre-Atlantique lors de son premier week-end d'exploitation pour un budget dépassant les 100 millions), Peter Jackson déplore ainsi le fait qu'il n'y ait « plus assez de films originaux à Hollywood ». S’il paraît assez difficile de lui donner tort sur le fond (c'est un avis qu'une large majorité de cinéphile partage), il semble quand même déjà plus délicat de lui donner totalement raison sur la forme. À l'heure où son Mortal Engines sort dans les salles (projet véritablement original pour le coup ; dans le sens où cette œuvre n'avait jusqu'à présent jamais été adaptée), au même moment que le nouveau Spider-Man (personnage ayant déjà connu quatre adaptations différentes majeures sur grand écran depuis les années 2000 ; et qui incarne donc à la perfection cette vague super-héroïque de l'ère Marvel), la réflexion de réalisateur du Seigneur des Anneaux ne manque effectivement pas d'intérêt. Néanmoins, il convient d'y apporter un bémol (d'importance), car tout dépend de ce que l'on définit véritablement par "film original".
Si le simple lancement d'une nouvelle franchise – inédite autant sur grands que sur petits écrans – suffit à qualifier un projet de "original", alors Mortal Engines est indéniablement un "film original". Mais à partir du moment où Mortal Engines reprend tous les codes et clichés du blockbuster young adult à la Hunger Games (le triangle amoureux naze, le grand méchant dictateur caricatural, l'héroïne "élue" sans parents recherchée par une organisation mystérieuse, la surpuissante armée ennemie qui devient soudainement incompétente face à une bande d'ados, les personnages "United Colors of Benetton" métrosexuels) ; à partir du moment où son univers – bien que visuellement réussi – n'est finalement qu'une énième resucée de Mad Max (autant d'un point de vue esthétique que de la façon dont sont régis les peuples de survivants) ; et à partir du moment où son scénario reprend la trame narrative – simplifiée à l'extrême – de Star Wars (la cité géante avec son rayon laser en mode Etoile Noire, les pseudo X-Wing de la rébellion qui attaquent l'intérieur de la cité en rase-motte, et jusqu'au twist final de la honte)... bref : à quel moment Mortal Engines est censé être "original" en fait ?
Alors que l'on aurait pu justement espérer de l'originalité avec cette adaptation inédite de Mortal Engines, ce mortel ennui produit par Peter Jackson ne fait qu'accumuler tous les clichés et les poncifs du genre ; tout en rushant son intrigue de façon totalement abusive dans son dernier tiers (rendant de fait quasi nul l'impact de la mort de tous ces personnages random introduits à la hache). À l'inverse, l'annonce d'une "nouvelle" aventure de Spider-Man n'avait rien de très originale sur le papier. Depuis les années 2000, le personnage créé par Stan Lee et Steve Ditko avait déjà connu plusieurs transpositions d'importance. À l'issue de la trilogie de Sam Raimi en 2007, le personnage connaît donc un premier reboot par Marc Webb cinq plus tard en 2012, avant d'être à nouveau relancé par Disney/Marvel – studio personnifiant mieux que quiconque cette tendance croissante aux franchises standardisées impersonnelles – seulement deux ans après en 2016. Entre un film dans le Spider-Verse sans le Tisseur sorti cette année, Venom, et un nouveau long-métrage Spider-Man prévu l'année prochaine, Far From Home, Marvel a donc ici fait l'étrange choix de proposer une énième version du personnage.
Mais si ce Spider-Man n'était sans doute pas le plus attendu, c'est peut-être finalement celui dont nous avions besoin. Prenant le contre-pied des précédents films en plaçant le jeune Miles Morales en tête d'affiche, ce Spider-Man : New Generation s'avère être, plus qu'une agréable surprise : un modèle d'originalité. Toujours aussi drôle, impertinent et malin, le prodige Phil Lord – qui avait déjà su moderniser avec brio une franchise de jouets, LEGO : The Movie, et une ancienne série à succès, 21 Jumpstreet – évite donc tous les pièges habituels de ce type de blockbusters. N'hésitant pas à se moquer des clichés inhérents au genre grâce à une mise en abyme savoureuse, ce nouveau Spider-Man prouve ainsi comment une oeuvre connue de tous peut-être intelligemment dépoussiérée ; tout en s'inscrivant dans une certaine continuité en faisant, notamment, de nombreuses références à la trilogie de Sam Raimi (illustrant ainsi parfaitement le concept de "changement dans la continuité").
À l'heure où Shun des Chevaliers du Zodiaque devient une femme et où Achille de Troie devient noir (coucou Netflix !) au détriment de toute logique narrative, Miles Morales s'impose ici comme une bouffée de modernité salvatrice (le personnage gagnant d'ailleurs bien plus en pertinence ainsi que si l'on s'était simplement contenté de changer la couleur ou le sexe de Peter Parker). Avec toute l'ironie et la sagacité qu'on lui connait, Phil Lord s'amuse donc de toutes les revendications actuelles concernant le sexe et la couleur des peaux que les héros devraient avoir. En mettant en avant les différentes incarnations du Spider-Verse, le film prouve que – quand bien même on ne serait ni blanc, ni brun, ni homme, ni même un humain – tout le monde peut s'identifier à Spider-Man. En plus de l'originalité avec laquelle son histoire est traitée, Spider-Man : New Generation fait également preuve d'une grande inventivité via son alchimie parfaite entre récit et mise en scène. Avec son esthétique à mi-chemin entre la bande-dessinée interactive et l'animation numérique plus traditionnelle, il offre le meilleur des écrins à l'un des bijoux des comics américains.
De façon assez surprenante, et sortant curieusement à la même date dans nos salles françaises, c'est ainsi qu'un long-métrage soi-disant "original" produit par l'un des cinéastes les plus respectés du cinéma moderne s'avère n'être qu'une (belle) coquille vide sans originalité, alors que une énième adaptation d'un des super-héros les plus célèbres du monde réalisée par d'illustres inconnus (ou presque) se révèle être l'une plus grandes réussites du genre (et accessoirement le meilleur film super-héroïque de l'année). Comme quoi "l'originalité" ne se résume pas au support adapté, mais à la façon dont il est adapté. Des "films originaux", évidemment qu'il en faudrait plus, mais c'est avant tout de "bons" films dont il s'agit. Cette réflexion rappelle aussi le cas des longs-métrages fantastiques français. De façon très chauvine, on pourrait espérer qu'ils fonctionnent davantage. Mais encore faut-il qu'ils soient réussis. A-t-on vraiment envie de soutenir un "mauvais film" juste par principe ? Chacun y apportera sûrement la réponse correspondant le mieux à sa cinéphilie...