Un grand potentiel implique de grands efforts

Fruit d’une collaboration Marvel/Sony, No Way Home est la suite directe de Far From Home, elle-même suite de Homecoming, le film solo qui introduisait « réellement » l’araignée dans le MCU après une entrée fracassante dans Civil War.

Il faut quand même s’en rendre compte : en 2015, Spider-Man n’était qu’une licence dormante suite à l’avortement du Spider-Man 4 de Raimi puis à celui des projets devant faire suite aux deux The Amazing Spider-Man de Marc Webb, qui possèdent leurs lots de défenseurs, mais dont les résultats au box-office n’étaient pas suffisamment satisfaisants pour Sony.

L’explosion du MCU et un hack nord-coréen plus tard, voilà que les pontes de Sony annoncent que leur personnage fétiche apparaîtra enfin aux cotés de Tony Stark, Steve Rogers et leurs camarades. Une introduction qui avait fait grand bruit en 2016 et qui n’était que le début des aventures de ce Peter Parker.

Des aventures poursuivies dans Homecoming et Far From Home donc, au cours desquelles Peter tente sans cesse de jongler entre sa vie perso et les attentes démesurées des différentes figures de « mentor » qu’il va rencontrer, certains le dotant de moyens qui dépassent souvent ses propres capacités et le malmènent encore davantage dans ses choix.

Un jonglage qui atteint un point de non-retour lors de la scène post-générique de Far From Home et dont nous sommes donc invités à en découvrir les conséquences dans ce troisième opus.

Après avoir vu son identité révélée au monde entier par Mysterio et l’impact direct de cette révélation sur la vie de ses proches, Peter Parker n’a plus d’autres choix que celui de demander l’aide de Dr Strange. Sa tentative s’avère infructueuse et ramène dans leur monde des ennemis venus d’univers différents. Leur point commun ? Ils connaissent Peter Parker…

Préparée avec autant de secrets que de teasing, cette suite a progressivement fait couler de plus en plus d’encre. Les rumeurs ont eu le vent en poupe pendant des mois, jusqu’à ce que certains points soient confirmés via les trailers, en particulier le retour de plusieurs méchants tirés des deux adaptations antérieures de Spider-Man : Doc Oc, Green Goblin, Electro, Lizard et Sandman.

Une chose est certaine : ce film détenait un incommensurable potentiel, même sans connaître tous les détails. Le multivers, le retour de personnages iconiques… Il y avait tellement, mais alors tellement de potentiel.

Las, la machine à moudre les aspirations artistiques pour les transformer en assets marketing qu’est le MCU a été beaucoup trop forte sur ce film.

Contrairement à un The Eternals ou Les Gardiens de la Galaxie, projets manifestement dotés d’une marge de manoeuvre un tantinet plus permissive pour leurs réalisateurs, No Way Home souffre de l’incroyable (et néfaste) influence de son cahier des charges.

Introduire des personnages méconnus ? Pas de problèmes pour Marvel. Des règles demeurent, inamovibles, mais la chance de percevoir un semblant de l’âme de son réalisateur existe vraiment. Exploiter une licence ultra populaire, la mêler à une franchise aussi populaire, et jongler tout ça avec des concepts tels que le multivers ? Autant vous dire que le film et son équipe de production ont sur leurs épaules une responsabilité autrement plus élevée et risquée.

Un poids qui se ressent au niveau de l’écriture dans un premier temps. Cinq antagonistes c’est énorme. Pourtant quand on voit la capacité qu’a la Maison des Rêves à exploiter des rosters atteignant la trentaine de protagonistes dans d'énormes films-évènements, on a envie de croire que ça marchera ici.

Sauf que ça ne marche pas.

Si c’est un plaisir de retrouver nos souvenirs d’antan, ils sont malheureusement trop sous-exploités, parfois pour les même raisons, parfois pour des raisons qui leurs sont propres. Une règle en particulier les lie entre eux : le scénario n’a pas assez de temps à leur accorder. En résulte des espèces de trophées culturels souvent dénués de personnalités, là juste pour faire baver le spectateur peu scrupuleux.

La nostalgie n’est pas une mauvaise chose en soi mais son utilisation, elle, peut être aussi fabuleuse que catastrophique. Ce film est un bon exemple de mélange ahurissant des deux extrêmes.

À ce premier déséquilibre s’ajoute un second : celui de l’arc narratif. Dans celui-ci se percutent de très bonnes idées et une paresse d’écriture quasi révoltante.

Et à ce second déséquilibre s’ajoute un troisième : celui du traitement de ses persos. Protagonistes comme antagonistes ont tous droit à des lignes et passages intéressants, réussis ou divertissants, et mauvais, mal écrits, ou ridicules.

J’ai fréquemment ressenti le syndrome Star Wars 9 : un trop plein de choses lâchées sans grande réflexion ni cohérence ni naturel, balancées à un rythme frénétique afin de retirer au public le droit de penser par lui-même ne serait-ce qu’un court instant (et de facto constater la faiblesse du produit qu’il est en train de regarder), le récompensant de petits sucres nostalgiques dès lors qu’il décide de ne pas remettre la crédibilité des faits en question.

Et enfin à tous ces déséquilibres et défauts s’ajoute la couche finale de déception et une des plus importantes : la mise en scène.

Jon Watts brille d’une seule qualité : celle d’être dans la constance. La constance de la médiocrité.

D’accord je retire ce que j’ai dit : ça m’a paru encore pire ici.

Entre « l’étalonnage MCU » plus insipide que jamais dans ce film, l'oeil de Watts aussi imaginatif qu’un foetus et son utilisation de la caméra aussi réussie qu’un tableau peint par un marsouin, le film a la malchance d’être un des films les plus moches de tout le MCU. C’est fade, sombre, mal cadré, mal filmé, mal monté. Les scènes d’actions sont un calvaire à regarder, si bien que les quelques bonnes idées de cascades ou plus généralement les bons passages restent fastidieux à apprécier. Une malchance regrettable qu’on impute facilement à son réalisateur, quand bien même la pression du studio est indéniable, et qui va crescendo jusqu’au dernier tiers, d’une pauvreté visuelle affligeante.

Il n’y a absolument aucun plan iconique, aucune image marquante, même lorsque ce que l’on voit est théoriquement gavé de puissance évocatrice et/ou émotionnelle. C’est d’une terrifiante tristesse quand on voit ce que le film approche.

Passons au casting. L’alchimie entre Peter, MJ et Ned m’a une fois encore plu. J’apprécie également le jeu de leurs interprètes respectifs. J’ai toujours bien aimé Holland et ici ça ne déroge pas à la règle, Zendeya a un charisme qui mange l’écran lorsqu’elle est présente et Jacob joue son rôle de sidekick attachant et rigolo comme il faut. Les méchants sont en revanche peu convaincants quand ils ne sont pas transparents, à l’heureuse exception de Willem Dafoe qui semble avoir pris plaisir à re-cabotiner dans les bottines du Bouffon Vert. Dommage que son perso reste aussi mal écrit que les autres.

Si le film avance fréquemment avec beaucoup de facilités, il débouche toutefois sur une issue difficile et pleine de promesses (« encore » me dira-t-on) en amenant des conséquences réellement palpables.

Le film est parfois plaisant dès lors qu’on s’éloigne de cette intrigue principale que je trouve indigeste et du fan service indissociable de cette dernière, tantôt satisfaisante, tantôt exagérément factice et donc, décevante. J’ai également apprécié les approches du perso de Spider-Man, cette quasi déconstruction parfois, ou les échos disséminés çà et là.

Autre point positif : la musique. Sans être aussi mémorable que celle de la trilogie de Raimi on retrouve des sonorités qui s’en rapprochent davantage grâce à pas mal de choeurs, un élément qui était quasi inexistant jusque là et qui apporte beaucoup de consistance aux morceaux, à commencer par le thème principal qui peut enfin s’envoler de la même façon qu’on volait à l’écoute de la BO composée par Danny Elfman.

Un projet gargantuesque qui trébuche hélas vraiment trop souvent à mon goût, alourdi par la rigidité du cahier des charges et la force nostalgique qu’il tente d’exploiter, et qui aurait presque mérité plusieurs films ou pourquoi pas une approche en mini-série, à défaut d'une histoire plus affinée.
Un gigantesque potentiel jouissif mais frustrant sur la durée, eu égard au paquet scénaristique et visuel dans lequel il est emballé.

Reste à voir ce que donnera la suite, mais entre la sacro-sainte encyclopédie des charges qui ne changera pas d’ici là et la probabilité de se taper un réalisateur aussi médiocre que Jon Watts, l’espoir est maigre. L’espoir d’un fou.

Chernobill
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le 2 août 2022

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