Critique écrite à chaud en sortant de la séance le 17/12/2021
Toute ma vie je m’obstine à éviter de me ranger dans une case, une classe, un rang, je m’efforce de ne pas appartenir à telle ou telle catégorie de personne en ayant toujours comme objectif de prendre du recul par rapport à cela, d’atteindre une réflexion supérieure qui surpasserait la manière, parfois radicale, de penser que peut avoir un groupe social en particulier. Mais encore aujourd’hui je me suis rendu compte à quel point c’est vain et douloureux psychologiquement de transcender nos tendances culturelles et sociales, c’est comme si nous étions faits pour nous ranger dans des cases communautaires et que ne pas s’en rendre compte est finalement un bien être inconscient. Le simple visionnage d’un film m’a encore rappelé cette frustrante obsession de mon esprit qui s’efforce à vouloir dépasser cette perception taxinomique du monde. C’est pourquoi j’ai adoré Spider-Man: No Way Home et j’ai détesté Spider-Man: No Way Home.
J’ai beaucoup aimé les premiers opus Spider Man, alors revoir le visage de mes héros et vilains favoris est un réel plaisir, les réunir dans une même séquence de film est un fantasme qui se réalise devant mes yeux et les frissons attestent cette euphorie. Le film est drôle, les références sont nombreuses et très jouissives (qu’elle se réfèrent à qqch de drôle ou de triste) et l’on ne s’ennuie pas une seconde.
Je n’ai pas aimé ce film pour les mêmes raisons. Le film regorge de blagues bien souvent en décalage avec la gravité des enjeux, on se demande réellement si on ne devrait pas renommer le film « action » « super héros » en « comédie » voire « parodie ». Cela ôte toute la profondeur du film, on enchaine des scènes drôles, tristes, d’action, re-triste puis drôle en l’espace de 2 minutes et l’on ne sait plus où donner de la tête.
L’apparition de deux personnages clés vient par exemple complétement effacer les sentiments éprouvés par le décès de Tante May une minute avant.
Ensuite, je tente de me mettre à la place d’une personne qui vient voir ce film indépendamment de tout le reste de la franchise Marvel et des autres films Spider Man : c’est à ni rien comprendre. Les références sont trop nombreuses pour pouvoir apprécier le film sans connaitre les personnages et opus précédents. Et pourtant ce n’est pas une série, c’est un film, ainsi cette présupposition amène à repenser totalement la manière d’envisager, d’analyser et d’apprécier le film de cinéma. Bien évidemment tous ces clins d’œil contribuent au fan service qui n’a jamais été aussi présent qu’aujourd’hui dans l’histoire du cinéma. Et il est vrai que j’y vois une part d’aliénation, c’est un film fait pour des fans, qui propose des séquences et des enjeux narratifs qui correspondent aux fans et qui rentrent dans le cahier des charges. Il est difficile de ne pas y voir tous les mécanismes économiques et capitalistes qui ne devraient selon moi pas prendre le dessus sur la création artistique. J’ai eu le sentiment de pouvoir anticiper toutes les réactions du public, il n’y a plus de surprises désormais mais des attentes et si ces dernières sont comblées, le public est conquis. Je n’ose même pas aborder les incohérences narratives du film et le travail parfois paresseux des scénaristes sur certaines scènes.
En en même temps, qui-suis-je pour regarder ce public avec un œil qui serait plus intellect ? Quel est le mal à tout simplement prendre du plaisir pendant deux heures ? C’est si agréable de voir tout le public rire ensemble des blagues du film, applaudir et crier durant les scènes marquantes. En plus, une salle comble en pleine période de Covid, ça fait chaud au cœur. Dans ces moments j’aimerai être à leur place et en profiter pleinement. Mais je n’y arrive pas, je suis tiraillé entre deux forces de mon esprit totalement opposées.
L’une est attristée de ce que devient le cinéma, cette facilité à anticiper les recettes, à ne prendre aucun risque et se faire toujours plus d’argent, à supprimer notre individualisme au profit de la conquête des masses, des fans.
L’autre dit « Mais merde ! J’ai pris du plaisir à regarder ce film et c’est toujours ce qui a compté, c’est même ce qui prime à mon sens dans l’art. » Car je n’ai pas envie de passer pour un connard qui juge le bon et le mauvais cinéma, ce genre de personne hautaine, faussement intellectuelle qui condamne une certaine catégorie de film. Personne ne devrait être comme ça et ça ne correspond pas, mais alors pas du tout, à ma vision de l’art qui doit rester avant tout un plaisir subjectif ! Alors pourquoi je n’ai pas seulement adoré ce film, pourquoi je l’ai aussi détesté ?
Mon petit cerveau humain n’est probablement pas fait pour appréhender et considérer tous les paradigmes possibles, tous les multivers, pour rester dans le thème, dans un seul but de surpasser cela. Parce qu’on en vient presque à gâcher l’expérience originelle du cinéma, à nier notre essence que sont les émotions, les gouts et les sensations. Malheureusement je suis dans l’incapacité à me positionner car je ne le veux pas mais c’est insupportable. Suis-je le seul ?