M. Night Shyamalan recolle (enfin) les morceaux!

Rares sont les réalisateurs à m'avoir inspiré d'abord autant d'admiration, puis autant de déception que M. Night Shyamalan! Alors que j'avais adoré son second (je n'ai jamais vu "Eveil à la vie", son premier) long-métrage, "Sixième Sens", jubilé sur le suivant "Incassable", et été très agréablement surpris par "Signes", je n'avais en effet par la suite ressenti que déception, ennui et incrédulité devant la médiocrité de tout ce qu'il avait produit derrière, (à l'exception de "The Visit" que je n'ai toujours pas vu)... "The Village" était une arnaque absolue, "La jeune fille de l'eau" mal filmé et d'un ennui mortel, "Phénomènes" totalement idiot, et "Avatar, le dernier Maître de l'Air" une véritable insulte à l'excellent dessin animé qu'il prétendait adapter... Sans oublier évidemment l'affligeante ineptie d'"After Earth"!!! Autant dire que j'étais particulièrement frileux à l'idée d'aller voir son dernier film...


Mais heureusement, le réalisateur au nom aussi énigmatique qu'amusant à prononcer a eu la joyeuse bonne idée de confier le rôle principal de son nouveau scénario à James McAvoy, un acteur que j'apprécie depuis sa surprenante prestation en faune dans "Narnia", mais surtout par la suite dans des films comme "Le Dernier Roi d'Ecosse", "Wanted", "Trance", ou la série de préquelles de la franchise X-Men où il reprenait à merveille le rôle du professeur Charles Xavier après l'excellent Patrick Stewart. Autre point positif m'incitant à donner sa chance à "Split", son sujet qui m'a toujours fasciné : les troubles mentaux des personnalités multiples. Ajoutez quelques extraits dans lesquels on pouvait voir McAvoy prêter son corps aux différentes personnalités de son personnage, et ma curiosité était plus que légèrement piquée!


Alors bon, ne tournons plus autour du pot... "Split" n'a pas comblé toutes mes attentes, mais il m'aura au moins réconcilié pour le moment avec un M Night Shyamalan de qui je n'attendais pourtant plus grand chose! Le film est criblé de petits défauts, de petites maladresses et insuffisances, mais on sent une véritable envie de bien faire, de pousser la réflexion sur son sujet aussi loin que possible, de créer une ambiance lourde qui, heureusement cette fois-ci ne repose pas sur du vent (cf "Phénomènes" ^^) mais sur une théorie intéressante. Et si les gens souffrant de "trouble dissociatif de l'identité" devenaient vraiment, physiquement, les différentes personnalités qui prennent le contrôle de leur corps...? Un corps en bonne santé aurait-il besoin d'injections d'insuline lorsque sa personnalité dominante est diabétique? Une personnalité de body-builder confère-t-elle au corps qu'elle contrôle une force supérieure à celle correspondant à sa musculature naturelle? Si l'idée est loin de faire l'unanimité dans la communauté scientifique, elle offre une excellente base à un thriller cinématographique!


Partant de cette base théorique, Shyamalan déroule son histoire autour d'un homme, Kevin, abritant en lui un grand nombre de personnalités différentes, dont certaines, particulièrement malsaines, le poussent à kidnapper trois adolescentes auxquelles sera réservé un traitement d'autant plus angoissant que sa nature ne se révèle pas tout de suite... Revenant à ce qu'il maîtrisait le mieux dans ses premiers films, le cinéaste installe une ambiance intensément anxiogène admirablement servie par le mystère : on craint toujours plus ce qu'on ne peut qu'imaginer. Si on n'échappe pas aux clichés concernant ces trois jeunes filles, deux d'entre elles représentant la "caste" des lycéennes populaires et un brin superficielles étant interprétées par des actrices lambda (Haley Lu Richardson et Jessica Sula) au jeu très vite oubliable, et la troisième rentrant plutôt dans la catégorie des "misfits" un peu intellos, cette dernière, Casey, est jouée par la surprenante Anna Taylor-Joy qui donne une profondeur inattendue à son rôle. En effet, alors qu'on s'attend à ce qu'elle ne soit qu'une victime un peu plus maligne que les autres, qui aura donc plus de chances de s'en sortir, elle recèle en fin de compte en elle bien plus que ce qu'on imagine au premier regard...


Autre personnage intéressant du film, Karen Fletcher, interprétée avec talent par Betty Buckley (les fans de l'excellente série Oz seront ravis de retrouver ici la mère de Ryan O'Reilly!), est une psychiatre qui s'occupe du cas de Kevin, fascinée par son patient grâce auquel elle ambitionne de prouver sa théorie concernant le "trouble dissociatif de l'identité". Bienveillante mais également perspicace, elle représente en elle-même les contradictions inhérentes aux professions liées au traitement des troubles mentaux en général : peut-on traiter et étudier en même temps des malades potentiellement dangereux, et quelles sont les limites de ces pratiques?


Evidemment, le film repose énormément sur les épaules de James McAvoy, qui y trouve l'opportunité rêvée par tous les comédiens du monde : interpréter dans une même histoire une foule de personnages radicalement différents. Il fait la démonstration d'un talent qui, s'il était déjà connu grâce à ses précédents films, révèle dans celui-ci une versatilité impressionnante! En effet, non seulement il incarne à merveille les différentes personnalités ayant colonisé l'esprit de Kevin, avec des énergies corporelles diamétralement opposées, des variations frappantes dans leurs dictions et des qualités de regard toujours singulières, mais il est également capable, ce qui n'est possible que grâce à un énorme travail d'acteur, de passer de l'une à l'autre en temps réel, devant la caméra, avec un naturel plus que déconcertant!... Ce qui dans un premier temps prête peut-être un peu à sourire devient vite assez dérangeant, presque autant pour le public que pour les jeunes filles qu'il séquestre.


En termes de réalisation, M. Night Shyamalan nous livre là une oeuvre réussie malgré une certaine frilosité. En effet, le film étant un thriller étouffant, on pourrait s'attendre à quelque chose d'un peu plus nerveux au niveau du rythme alors qu'il prend du temps pour installer ses séquences. Peut-être un peu trop. De même, visuellement le métrage est sans doute un peu trop sage pour les amateurs du genre, comme s'il tenait à tout prix à rester accessible à tous publics, n'assumant pas totalement l'horreur du sujet et la perversité de certaines des personnalités de Kevin. On sent que son terrain de prédilection est psychologique tout comme il l'était déjà à l'époque de "Sixième Sens", et de ce point de vue-là, il maîtrise son sujet. Les méandres des psychés de Kevin, de Casey, et de Karen sont explorés avec art pour servir l'atmosphère mystérieuse et paranoïaque de "Split". Et comme dans ses meilleurs films, le réalisateur ne néglige pas le côté "puzzle" de son scénario énigmatique, disséminant des indices de-ci de-là pour mettre les spectateurs attentifs sur la piste (ou les fausses pistes, qui sait?...) concernant les révélations qui ne manqueront d'éclater au final.


En revanche, on déplorera une ambiance musicale pas assez marquante, le score réalisé par Luke Franco Ciarrocchi étant certes adapté au sujet et à ses ambiances, mais insuffisamment inspiré pour laisser une trace dans les mémoires après la fin du film.


Cela dit, point particulièrement positif, la direction artistique dans son ensemble est très réussie et habille l'histoire de façon toujours très juste, que ce soit en ce qui concerne les costumes, les décors particulièrement soignés, et jusqu'aux accessoires judicieusement choisis et pour beaucoup très porteurs de sens.


On regrettera finalement que certaines personnalités abritées par Kevin prennent tellement le pas sur les autres dans le scénario qu'on n'aura malheureusement qu'un aperçu trop succinct et donc frustrant de certaines qu'on aurait aimé voir plus développées. Et on espérera donc qu'une éventuelle version longue nous permette à terme de profiter encore plus de l'excellente prestation de James McAvoy dans leur incarnation. Ou au moins des bonus et un making of fournis sur les futurs DVD et BluRay du film!


En résumé, si "Split" n'est pas un chef d'oeuvre car trop de petites imperfections, maladresses ou facilités scénaristiques et un petit côté trop prévisible pour les plus perspicaces des spectateurs l'empêchent d'en atteindre l'excellence, il semble pourtant annoncer ce qu'on n'osait plus attendre : un retour en grâce d'un réalisateur considéré lors de ses débuts comme génial puis malheureusement tombé de son piédestal. Il y explore l'un de ses sujets de prédilection, à savoir la complexité de l'âme humaine, ce qui en fait les faiblesses mais aussi les forces, et porte une réflexion originale sur le monstrueux et la façon dont il est perçu suivant les différentes perspectives adoptées par ceux qui l'observent et le qualifient. Un bon film, enfin, prometteur pour la suite de sa carrière...

CharlesLasry
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le 2 mars 2017

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Charles Lasry

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