Une saison en enfer
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A vue d'oeil, ca sent le suicide de la semaine : aller voir un film tout entier centré sur le Spring Break (mais sans piranhas pour nettoyer les eaux, cette fois), avec une brochette de starlettes made in Disney prêtes à prouver qu'elles ont l'âge de jouer en bikini. Y a des jours où avoir tort est le plus grand plaisir qui soit.
On voit d'ici les gardiens du bon goût cerner le manque d'enjeux du film, pendant que les tenants de la bonne morale hurleront au scandale. Pour une fois, ils n'auront pas forcément tort : non, Spring Breakers n'a aucun intérêt en termes de suspense et mille fois oui, c'est un bel objet de scandale. Un geste fou qui cherche à marier les extrêmes, qui fait s'entrechoquer des textures sonores rappelant tour à tour Sofia Coppola et Tony Scott, enchaîne des plans d'une beauté renversante alors même que le propos du film garde les yeux au ras du string, fixés sur tout ce que la télévision du XXIème siècle a pu produire de racoleur. A ceci près que cette masse d'images et de sons forme ici une incroyable tranche de vie au soleil, imprévisible car toujours sur le point d'imploser, de basculer dans une autre dimension.
A vrai dire, Spring Breakers atteint un degré d'abstraction tel qu'il baigne de bout en bout dans une espèce d'entre-deux fantasmatique, bercé entre la débauche tape-à-l'oeil de son univers et la poésie bariolée qu'il parvient à en extraire scène après scène. Hypnotique et sexy à mourir, multipliant les instants en apesanteur, guidée par une envie grisante d'en découdre avec les attentes du public, l'oeuvre (car c'en est une, et de taille) n'a pour règle que celle de ne pas en avoir. Et si la question de la morale d'une telle entreprise est légitime, l'état de sidération que provoque Spring Breakers a le double mérite de couper court à ce type de jugement et de centrer l'attention sur des éléments plus "superficiels" : lumière, montage, ambiance... Autrement dit, sur tout ce que le film pille avec génie dans d'autres programmes moins concernés pour les passer au filtre de son drôle de regard iconoclaste.
Dans le genre pur produit de son époque, Spring Breakers fait figure de manifeste culturel. Le film ne se cherchant aucune excuse, il n'est pas interdit de s'ennuyer à mourir face à cet étalage de visions pop et sensitives, volontairement répétitif jusque dans un dialogue intérieur en forme de leitmotiv. Mais pour ceux qui céderont à son ton unique, le film d'Harmony Korine bravera les certitudes pour n'en laisser qu'une seule : le fait qu'on risque d'être tristement blasé par les sorties des dix prochains mois après un tel trip. On en sort bluffé, extatique, la tête pleine de couleurs éblouissantes et avec la sensation d'avoir fait une virée unique au coeur du cauchemar américain. Un exemple rare et édifiant d'OFNI attachant.
L'antithèse de Projet X, en somme. Vu le sujet et le public visé, Spring Breakers ressemble bien à un sublime colis piégé.
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le 6 mars 2013
Modifiée
le 6 mars 2013
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