Larry Clark, Gus Van Sant, Harmony Korine ou les trois noms du triptyque du teen movie indé américain. En 1995, Kids, a réunit les trois talents au sein d’un même film, le premier à la réalisation, le deuxième à la production et le dernier au scénario pour faire ensemble, le film d’une génération. 18 ans après avoir scénarisé Kids, Korine revient en 2013 avec Spring Breakers qui est son cinquième long métrage en tant que réalisateur. Le film interroge encore et toujours la jeunesse, avec cette fois une focalisation et une immersion sur la génération Z américaine.
A première vue, l’état des lieux est assez consternant. La jeunesse, courant toujours derrière l’idée d’une éternelle liberté se heurte ici encore durement à un mur. Cette jeunesse, l’on a vit à travers le portrait de quatre adolescentes, prêtes à tout pour aller au Spring Break, quitte à braquer un restaurent routier avec des pistolets à eau. L’une d’entre elle dit : « c’est facile, il suffit de faire comme dans les jeux vidéos », et en effet, elles réussissent sans trop d’effort ni trop de remords. Après tout, où est le mal ? Baignées d’images MTV à profusion dès leur enfance, là, ce n’est rien qu’un jeu de plus. Argents en poches, à elles des vacances bien mérités (c’est dur les études, surtout quand on s’ennui), à elles le soleil et le ciel bleu, l’alcool et la drogue à volonté bref, la liberté absolu pour elles. Avec en tête d’affiche Seléna Gomez, Vanessa Hudgens, Asheley Benson et la femme d’Harmony Korine, Rachel Korine, on comprend que le choix des actrices n’est pas innocent. A la manière de Roger Avary dans Les lois de l’attraction (2003), Korine utilise l’image plus-propret-tu-meurs de ces ex actrices Disney (Selena et Vanessa) à contre-emplois et nous offre quelques scènes d’une grande cocasserie et oui, avouons le, d’une certaine jouissivitée (oui le néologisme était nécessaire).
L’excès, l’excès, encore de l’excès. L’excès dans la consommation massive, produits illicites ou pas, peu importe, du moment qu’ils offrent l’ivresse. L’excès dans l’exhibitionnisme, trop de seins, de poitrines, de nichons, de tétons, de mamelons à l’air. Trop de fesses, d’arrière trains, de lunes, de popotins, de postérieurs et de derrières mal couverts. L’excès régit également au sein des plans. Le filmé et le filmant, tous deux débordent sans cesse à travers les ralentis, les raccords (son d’un déclenchement de flingue), la musique qui jamais ne s’arrête. Rien ne doit s’arrêter, les gueules de bois seront pour demain, que la fête continue. Quand elles crient à l’unisson « SPRING BREAK FOR EVER. » face à la mer, les couleurs du ciel au couché de soleil, aussi magnifiques qu’irréels, semblent leur répondre : « le monde vous appartient ». Esthétiquement, le film est un véritable voyage de sensations et de parfums. De la puanteur et de la lumière glauque des néons d’une chambre d’hôtel détruite par le passage de la foule en délire aux senteurs d'une plage au crépuscule, on est transporté à travers les plans lyriques et contemplatifs de Korine où le beau rencontre le laid, laissant derrière lui une répulsion-attirance du spectateur pour ce cocktail étonnant. Korine ne se refuse rien, il a de l’audace et son film a du cran.
Cette jeunesse est bien triste à regarder. Triste car si elle nous retourne dans nos sièges par la stupidité de son comportement elle nous touche aussi, en plein cœur, de par son désespoir et de la pureté de son intention première. A la fin, quand les filles appellent leurs parents et qu’elles leur fond part de leur désir de « devenir une meilleur personne » pourrait paraître totalement ironique de la part de Korine vu de la situation, mais pourtant la sincérité de leur voix nous étonne et frappe. De même, Selena Gomez, qui joue Faith au prénom évocateur semble être la moins enthousiaste du petit groupe, quand elle téléphone à sa grand-mère, elle lui dit qu’elle est venue ici pour retrouver son identité, et elle y croit. D’ailleurs, Korine choisit de ne montrer aucune figure parentale à l’écran, ils sont toujours à l’autre bout du fil, projetés dans un hors champ lointain.
Finalement les jeunes et les moins jeunes ne sont pas si différents que la société voudrait nous faire croire puisque tous retrouvent refuge en l’ivresse qui leur procure l’abandon de soi. On peut s’abandonner quand on n’a plus rien à perdre ni nulle part où aller. La jeunesse nihiliste malgré elle, erre sans jamais avoir trouvé de réelle destination. Que faire de la vie devant soi quand on ne possède pas d’idéaux ? Elles et ils incarnent les anges déchus du so called American Dream.
Lorsque les gyrophares des polices locaux reflètent sur les visages de nos adolescentes aussi belles que rebelles, on apprend que peut importe comment tu fuis, la réalité elle, finit toujours par te rattraper. Accusées de tapages festifs, jetées en prison, elles seront sauvées par un dealer gangsta rappeur à ses heures perdues : sous le pseudo d’Alien, un James Franco méconnaissable. Couvert de tatouages et de dents en or, il montre fièrement aux filles sa collection d’armes accrochées au dessus de son lit, un lit remplit de billets verts. Ambiguë dans ses intentions, Alien les prend sous ses ailes dans le désir secret qu’elles volent avec lui, à ses côtés. Faith, la plus consciencieuse, part tant qu’il est encore temps, elles a des mauvais pressentiments. Elle n’avait pas tord car s’ensuit après son départ une descente cauchemardesque pour les trois restantes dans l’univers d’Alien : Règlements de compte entre gangs, grosses voitures et gros flingues. Mais rien n’effraient les filles, ce sont des vrais dures, elles. Et puis, elles ont confiance en cette homme qui leur faire croire qu’il serait prêt à faire n’importe quoi pour elles, parce qu’elles sont uniques, elles. Alors c’est avec des cagoules roses bonbons qu’elles l'accompagne dans ses trafics mafieux. Les filles se révèlent être douées, comme si elles avaient toujours fait ça. Décidément, les enfants apprennent vite. Si le personnage d’Alien est le plus caricatural car il est dans l’excès le plus total en cristallisant à lui tout seul les travers une société régie par l’argent, c’est aussi le plus touchant. Touchant dans sa bêtise comme les adolescentes, touchant dans sa douce folie, touchant quand il joue et chante Everytime de Britney Spears au piano (sur lequel est posé des flingues) pour les filles sous un soleil couchant. La lucidité et la beauté (malgré elle) de la séquence vaut à elle seule le détoure pour le film, croyez moi.
Alien et ces adolescentes sont ni plus ni moins des âmes égarées, qui, ne trouvant pas leur place conventionnel dans un monde où s’effondrent les Valeurs et les valeurs boursières se retrouvent pour construire un monde régit par leurs propres codes : le matérialisme exacerbé et la violence. Ils sont unis par une seule chose : la vacuité de leur existence respective, et ils comblent sans savoir le vide géant de leur plaie ouverte par la violence. Ainsi les insultes, les armes, les coups, les tires retentissent mais nul ne s’interroge. C’est la banalisation de la violence et une hypersexualisation du corps féminin qui est ici mise en scène par Korine. Une banalisation qui n’inquiète personne. La citation de Gandhi illustre bien la situation : « Œil pour œil et le monde sera aveugle ».
En empruntant au clip vidéo, au teen movie, et parfois même au western, Spring Breakers mêle plusieurs genres et styles pour y distiller un film initiatique pop, fluorescent, doux amère et cru sur la jeunesse actuelle qui noie son ennui et son mal-être dans l’hédonisme exacerbé. Quand on est jeune, on se pense immortel, l’idée de la finitude de la condition humaine ne nous heurte jamais l’esprit. Est ce pour cela que quand il n’y plus d’espoirs apparents, ils ont cette faculté d’y croire, encore un peu ? En criant « SPRING BREAK FOR EVER ! » à répétitions durant tout le film, nos dures à cuirs à la sauce Hello Kitty, épuisent leur cordes vocales et dessinent leur propre fin comme l'illustre les lucides lyrics de Britney que chantent Alien et les filles à l'unisson :
- « And everytime I try to fly, I fall without my wings.”