Une saison en enfer
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Une fête sur la plage qui enivre. Un manoir qui brille en rose néon. Un montage de fête d'une heure trente qui suinte la beuverie et émet un son cassé. Un voyage audiovisuel transcendant dans les profondeurs de la jeunesse américaine.
Je n'ai vu aucun autre film d'Harmony Korine, mais après celui-ci, je suis convaincu qu'il a un talent fou. Il offre une partition époustouflante, des choix musicaux distrayants et un montage farfelu. Il a en quelque sorte créé l'un des films les plus visuellement et viscéralement intenses de la décennie 2010.
Ce qui fait de cette œuvre sur les stars Disney en bikini un des voyages les plus abrasifs et colorés de l'histoire cinématographique américaine récente.
Oui, vous avez bien lu. Spring Breakers frappe votre visage et s'enfonce profondément sous votre peau brûlée par le soleil, une image abusive et addictive qui danse en extase sur la ligne de la satire et de la célébration. Spring Breakers à l'extérieur semble être le film de rêve de toutes les adolescentes. (Il a été commercialisé de cette façon) Une histoire pop et fastueuse de filles se retrouvant pendant le spring break. L'idole adolescent de l’époque James Franco est même de la partie, en plus de toutes les stars Disney !
Je mentirais si je disais que j'ai été offensé par la débauche qui se passe dans le film comme la nudité, la drogue et les crimes violents. Ce sont tous des éléments de base du style de vie "gangsta" que certaines formes de culture pop glorifient et auquel je suis habitué, ainsi que tous ceux de ma génération. Ce qui est intéressant, c'est la façon dont Korine utilise cette débauche et comment il la représente.
Il y a en fait beaucoup de symboles très intéressants superposés dans le film, par exemple la conférence pendant le cours universitaire au début du film mentionne comment les vétérans de la Seconde Guerre mondiale ont été changés par leur expérience... tout comme ce qui arrive à chacune des filles qui partent en vacances pendant le spring break en Floride.
Mais il y a un rappel à la réalité où les filles sont arrêtées et forcées de rester dans leurs bikinis pendant qu'elles sont enfermées. C'était un excellent moyen de faire en sorte que les filles soient exposées, ce qui les conduit ensuite dans un endroit encore plus sombre lorsque James Franco se présente pour les renflouer. C’est une véritable descente aux enfers pour elles.
La relation entre le personnage de Selena Gomez et le christianisme est intéressante bien que peut-être pas clairement développée. Car après tout, l'Amérique est une nation fondamentalement chrétienne. D’ailleurs ce qui est fascinant, c'est la narration de Gomez :
"C'est là que nous sommes censés nous retrouver... où nous sommes censés trouver qui nous sommes..."
Il y a un curieux désir de spiritisme même en dehors de la sphère chrétienne, peut-être en raison de cette même éducation chrétienne. La rationalité n'est même jamais posée comme une possibilité, le personnage bien nommé de Gomez " Faith " va à la recherche spirituelle en dehors du christianisme pour revenir au christianisme à nouveau... La logique n'est jamais considérée. Le mysticisme est la seule possibilité.
J'ai trouvé que le film faisait également la satire des personnalités et des cultures de la jeunesse américaine, Le personnage de James Franco étant un exemple particulièrement remarquable d'un jeune homme né de l'insécurité et des cultures conflictuelles. Cela en dit beaucoup sur notre monde.
Traverser le cynisme de Spring Breakers mènera également à la découverte d'un autre aspect fondamental de l’œuvre. Elle peut aussi être considérée comme une célébration d’une certaine culture de la jeunesse. Cela se joue presque comme un grand fantasme d'adolescent ou un rêve surréaliste. Une fête non-stop qui se transcende rapidement. Vous voulez y vivre et vous voulez y être, mais le film vous dégoûte.
Spring Breakers est en cela plus proche d'un examen psychologique de la jeunesse américaine et de toute sa gloire fanée ivre et vertigineuse.
Je pense que Spring Breakers sera un film étrange à regarder pour les futures générations (et aussi les anciennes ?) tant il est un pur produit de son époque. Mais d'un autre côté, il est génial simplement pour son langage cinématographique, son style artistique incroyable et ses fortes réactions émotionnelles qui suscite à son public. Le montage est particulièrement onirique et même si le récit n’est pas très fluide, on a toujours l'impression qu'il coule vers quelque part. Il trébuche en cours de route et certaines scènes semblent s'éterniser sans aucune raison mais le plus souvent, Spring Breakers est un assaut total sur vos sens et vous invite à un fantasme entre néon et sexe, entre alcool et de fluides corporels. Il vous montre les horreurs coupables de ce monde tout en vous ouvrant chaleureusement ses bras.
Spring Breaker est, à ma connaissance, le seul film qui arrive à capter la beauté poétique de ma génération qu’on juge trop facilement de « décadente ». Comme quoi au final tout n'est qu’une question de point de vue.
Spring Breakers est facile à détester et difficile à aimer mais n’est-ce pas là le propre de chaque grande œuvre artistique ?
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Créée
le 30 janv. 2022
Critique lue 15 fois
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