Spring Breakers par -Cédric-
Un Harmony Korine ça s'apprécie pour l'expérience qu'on y vit. Dès le début du film ça envoie du lourd avec cette scène d'intro sur fond de Skrillex, une daube sans nom, qui souligne parfaitement tout ce que le réalisateur veut mettre en perspective. On a cette bande de crétins qui vivent dans le pays le plus matérialiste du monde et qui pour se lâcher ne trouve pas d'autres solutions que de devenir encore plus superficiels. Le consumérisme à son apogée. On a donc cette bande son crade qui s'adapte parfaitement à la situation avec ces ralentis emprunts de cynisme qui se situent entre le mauvais clip de R'n'B et la série B qui se prend au sérieux pour pré-ados.
Une fois passée ce moment, outre que le type venu voir un nouvel American Pie et n'ayant rien pigé à ce qu'on vient de lui montrer peut désormais quitter la salle, tout change. À commencer par la photo, très granuleuse, avec ses couleurs flashy qui vous agressent presque les yeux mais qui ne tombe jamais dans le mauvais goût. Pour l'anecdote c'est le directeur photo de Gaspard Noé qui a taffé sur le film. À partir de là tout prend place pour une montée en régime intense et troublante, on a ce bruit de fusil à pompe qui se recharge entre chaque scène qui vient nous conforter dans notre malaise et plus le film avance plus on croule sous le poids de cette fatalité, cette sensation que quoi que l'on fasse l'inévitable se produira, de ne plus pouvoir s'échapper et devoir encaisser. De l'arrivée de Franco, exceptionnel dans ce rôle de rappeur-dealeur, à l'allure rigolote et clownesque qui se révèle en vérité malsain et effrayant, imprégné de tout les codes et autres tics propres à un blanc ayant tout fait pour s'intégrer puisque ayant grandi dans un quartier noir, le côté spring-break est lâché eu profit d'une histoire de petits gangstas insignifiants. Des mecs, à l'image de ces filles, qui ne sont rien dans le vaste monde et qui poussent toujours plus loin pour garder un semblant d'existence à travers les possessions.
Dans sa narration le film se renouvelle sans cesse, le montage et aux petits oignons avec cette voix-off et son enchaînements de flash back/forwards nous proposant un récit non linéaire renforçant ce sentiment d'évoluer dans un rêve, exhalant tout nos sens nous persuadant un peu plus que tout rien d'autre qu'un délire onirique d'un homme ayant cerné à quel point les jeunes d'aujourd'hui sont perdus et prêt à tout pour avoir la sensation d'être vu, d'être considérés, d'exister.
Point d'orgue de l'expérience et plaidoyer parfait de ce ressenti qu'on nous sert si audacieusement, la scène d'everytime, probablement l'un des plus beaux moments de cinéma de 2013. Plongée en apnée vers le trash, scène what-the-fuck, mise en abyme du propos à travers un massacre de la poésie et des puriste de cet art. On a ce mec au piano qui chante faux entouré de jeunes créatures, sublimes, se laissant « inspirer et stimuler » (je cite) ak-47 en main par ce qui ne l'est pas. Accompagné par ce montage halluciné et hallucinant où l'on accompagne nos protagonistes à travers une gigantesque fête faite de crimes et d'humiliations, se laissant entraîner par la folie du moment, se refusant de penser à après pour ne vivre que le moment présent comme s'il n'y aurait jamais de demain.
Bien évidemment côté marketing on a eu un truc bien fourbe, une mise en avant de tout ce qui attire le public parce qu'une fois qu'ils ont acheté leur place on s'en cogne, on a le fric on peut leur enlever tout espoir de voir une nouvelle merde au profit d'un film plein de maîtrise. La même stratégie que pour Drive et son marketing F&F bis.
Ce qui fait la réussite de ce film c'est l'ensemble de ces scènes malsaines et dérangeantes portées par un propos à mi chemin entre la contemplation et le refus de juger, Korine ne voit pas en son film une mise à mal des codes actuels de la jeunesse, encore moins une glorification, seulement une mise en lumière d'une autre façon. Il offre une façon différente de porter un regard lointain sur une situation donnée sans avoir à choisir entre l'envie et le dégoût.