Les Spring Breakers s’exhibent sous le soleil ardent de Floride. Des couleurs affriolantes, du rose au jaune fluo, les maillots de bain de Cody & Candy, resplendissent dans les bains de foule, portraits suintant de la pop culture. Film trash, peinture allégorique de la dépravation ultime dans le divertissement, Harmony Korine nous invite à un voyage expérimental. Retour sur une œuvre terriblement efficace, inquiétante par son fond, magnifiquement orchestrée dans sa forme.


Pop Culture et Iconoclasme


Chaque génération s’identifie à des images, à des logos, en somme des icônes. Les jeunes générations cherchent des symboles dans la construction et la réalisation de soi. Il y a de la volonté de se forger une personnalité mais aussi une conception extatique du simple divertissement. En s’identifiant à une icône, l’adolescent se construit un univers aux facettes multiples, versatiles et foisonnantes dont l’unique but est de se démarquer et de vivre à son sens, sa « propre vie ». La décennie 2000 reprend comme icône emblématique la pop culture, mélangeant des phénomènes médiatiques à la culture de masse.


D’emblée, le dernier long d’Harmony Korine peut nous apparaître comme un paradoxe : en confrontant cette culture de masse à la volonté d’exister, nous pourrions sombrer très rapidement dans un cliché transpirant d’une jeunesse décadente mais le film se mue en manifeste existentialiste ultra générationnel de l’adolescence, de l’éternelle jeunesse.


“Spring Break… Spring break, forever” murmure Alien (le surprenant James Franco), le rappeur gangsta venu essaimer son flow sur les plages de Floride. Sa présence n’est pas anodine, s’il écume les fêtes où binge drinking et strip tease vont de paire, c’est en quête de proies, de filles faciles. Et quand Alien rencontre Cody (Vanessa Hundgens), Candy (Rachel Korine), Brit (Ashley Benson) et Faith (Selena Gomez), c’est la débandade. Ces quatre jolis minois, qui ne sont ni plus ni moins des effigies Disney World, symbolisent dans le film le portrait stéréotypé de l’étudiant américain venu célébrer la fin de ses examens, en partant en Spring Break. Le contraste, brutal, brille par la dichotomie créée entre l’univers lisse en apparence d’une jeunesse américaine et les réels désirs d’une adolescence dont la personnalité est inachevée en quête d’identité, se découvrant des loisirs auxquels elle n’avait pas encore goûtée.


Les Éphèbes de Miami


Le film débute sur un mouvement de caméra à l'épaule, lent et virevoltant cerné de poitrines d’étudiantes dénudées célébrant dans la plus grande débauche la fin de leurs examens. Les cinq premières minutes nous proposent à quoi se résument les désirs (in)assouvis des jeunes générations : boire à outrance au delà même de l’ivresse, jouir de la chair et consommer des substances illicites, le tout orchestré par la symphonie du disc jockey Skrillex (qui est lui-même une icône !).


Si Spring Breakers nous apparaît définitivement comme un film trash, il ne s’en affuble pas pour autant l’étiquette de film de genre. Le caractère trash prend tout son sens lorsque le réalisateur magnifie la dépravation, la luxure et les désirs déréglés de l’adolescent.


C’est ainsi que le film se mue en prenant un virage complètement inattendu. Chacune des quatre adolescentes appréhende de manière différente son séjour à Miami. Si bien que lorsqu’Alien leur demande de rester, se découvrant intrinsèquement une vocation dans le néo-banditisme, certaines restent ; et certaines s’en vont reprendre le cours routinier de leur vie, mettant fin à leur Spring Break.


Le film est donc divisé en deux parties : le séjour, qui vient ébranler l’image utopique du paysage « carte postale » de Floride, de ses plages affriolantes, de son soleil, de ses cocotiers… et le trip, qui est sans nul doute la partie la plus intéressante, tant par sa démesure affichée que par la mise en scène maîtrisée, à l’image de la séquence du piano sur des airs de Britney Spears, qui mettent d’autant plus en exergue le contraste saisissant du film : la contradiction entre le rejet d’un ordre établi et la réduction au divertissement stérile et charnel. A travers cette mise en abîme (où des chanteuses et actrices disney jouent à être des gangsters), la symbolique est fomentée pour exploser lors de la séquence finale : le néant.


Nihilisme et Imbroglio


Car si l’œuvre de Korine peut se lire comme un fantasme, comme une expérience inédite réduite à une accumulation de plaisirs qui sont tour à tour satisfaits, les désirs, eux, ne sont plus, cherchant un nouveau comble, il ne reste rien. Rien. Tout un pan du film prend son ampleur quand le réalisateur nous renvoie aux croyances nihilistes qui semblent s’être imposées comme le crédo sacré de l’adolescence. Inquiétante représentation d’une société future en perdition que nous dépeint Korine. Se divertir se résumerait-il à « tuer le temps » et à s’amuser physiquement ?


Il convient aussi de saluer la maîtrise du mixage de son, ainsi que certaines scènes frôlant la perfection. En l’occurrence, la scène de hold-up du fast food est fascinante et débordante d’ingéniosité : En observant ses amies braquer le restaurant, Candy évolue progressivement de la crainte à l’euphorie en passant par l’adrénaline, suivant des yeux les étapes des deux filles parcourant les différentes salles du snack. Le suspense monte pour éclater telle une détonation dont les bruits de chargement de revolver accompagnant les cuts viennent déchirer l’atmosphère installée, comme si le désir d’intensité était recherché à chaque instant, que l’ivresse était la clé au plaisir suprême.


La Fureur de Vivre


« Live life for the fullest » conclut Alien à plusieurs reprises. En plaçant cette maxime comme ultime complainte, le film prend une dimension supérieure. Il n’est pas seulement question d’un séjour fantasmé, Spring Breakers propose la recherche d’un absolu dans intensité de vivre.


La démesure incarnée dans le rappeur gangsta exprime parfaitement le désir élévateur du film : En s’érigeant une identité authentique au travers de la Pop culture, Cody et Brit défient les valeurs nihilistes de leur génération en bafouant les règles instaurées du Spring Break. Le heurt des fantasmes d’une génération aux normes établies permet d’entrevoir la profonde symbolique du film : Exister par l’abandon total.

Monsieur_Biche
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le 3 janv. 2016

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