Une saison en enfer
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Quand Spring Breakers est sorti, je l’ai évité. Le casting Disney Channel, les couleurs pop…je passe mon chemin. Je l’ai découvert plus tard et j’ai eu l’occasion de le revoir en salle récemment. Peut-être que j’ai mûri (oui, ça arrive à tout le monde), ou peut-être que j’ai appris à mieux saisir le cinéma indépendant américain. Toujours est-il qu’en prenant le temps de regarder au-delà des bikinis fluo et du beat de Skrillex, j’ai pris une plus grosse claque.
Le point de départ est simple : quatre jeunes femmes, paumées dans une université publique, braquent un fast-food pour s’offrir une virée en Floride et elles aussi faire Spring Break, ce grand défouloir où tout semble permis : nudité, drogue, alcool, sexe… un carnaval vulgaire qui retourne les codes puritains de l’Amérique. Là-bas, elles croisent Alien (James Franco, méconnaissable), un petit voyou local qui les prend sous son aile. Évidemment, les choses dérapent, et on devine très vite que cette histoire ne peut pas bien finir.
Mais ce qui rend Spring Breakers fascinant, c’est la manière dont Harmony Korine imbrique le fond et la forme. D’un côté, il nous balance des scènes de fêtes grotesques, filmées comme des clips MTV saturés, où tout est too much, vulgaire et presque écœurant. De l’autre, il prend le temps de longues pauses mélancoliques, comme pour souligner à quel point ce monde d’excès cache un vide immense. Ces quatre filles ne cherchent pas juste à faire la fête : elles fuient. Fuir une vie médiocre, un avenir sans horizon. Même la « gentille » Faith (Selena Gomez) ressent ce besoin d’échapper à son quotidien monotone.
Le film ne cherche pas à moraliser ou à expliquer : il pose des images, brutes, souvent provocantes, et nous laisse faire la part des choses. La scène où Alien joue au piano Everytime de Britney Spears, entouré des filles en bikini et armées jusqu’aux dents, est à la fois ridicule et étrangement poétique. Une communion improbable entre des êtres paumés, sur fond de coucher de soleil rose bonbon. Le mantra "Spring break forever", répété en boucle comme une litanie, est de plus en plus en décalage avec les images de destruction et de chaos qui s’enchaînent. Le rêve se délite sous nos yeux, mais les personnages s’accrochent désespérément à cette litanie, comme si la seule issue était de refuser de revenir à la réalité.
Le casting, lui, s’avère avec le recul un coup de génie. Prendre des actrices issues de l’écurie Disney – Selena Gomez, Vanessa Hudgens, Ashley Benson – et les plonger dans cet univers vulgaire où elles embrassent les transgressions, c’est évidemment un choix provocateur. Korine joue avec notre rapport au corps et à l’image. James Franco, lui, campe un Alien à la fois pathétique et fascinant, rongé par la solitude et le ressentiment. Son personnage incarne une autre facette de l’Amérique : celle des marginaux qui, eux aussi, cherchent à inverser les rapports de domination.
Mais ce n’est pas un film parfait, loin de là. Les scènes provocantes, malgré leur efficacité visuelle, peinent à aller au bout de leur logique. Korine évacue presque systématiquement tout véritable drame : pas de viol, pas d’overdose, pas de conséquences majeures pour ces jeunes femmes qui s’aventurent pourtant dans des zones dangereuses. Même dans les moments les plus tendus, comme une scène où l’on craint qu’un abus soit imminent, tout est évité de justesse. Ce choix est déroutant : veut-il laisser planer une tension constante, comme un piège qui ne se referme jamais ? Ou préfère-t-il délibérément édulcorer la violence pour ne pas sombrer dans une critique trop évidente ? Cette ambiguïté affaiblit parfois le propos, car on se demande ce que le film cherche réellement à raconter.
Mais c’est peut-être ce manque de finesse qui rend le film si percutant. Spring Breakers n’est pas une critique ni chronique sociale, c’est un film viscéral, émotionnel. Il capture un moment, une époque, un état d’esprit. Il montre une jeunesse sans repères, qui se perd dans des paradis artificiels, et il le fait avec une poésie étrange, presque accidentelle. Est-ce que le film traverse le temps ? Oui et non. Les thèmes qu’il aborde – la solitude, l’ennui, l’envers du rêve américain – restent d’actualité. Mais il est trop maladroit, trop provocateur, pas assez subtil pour atteindre un statut culte ni pour remporter une adhésion critique franche.
Créée
le 8 janv. 2025
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