Une taverne, miteuse, et sur bien des points, insalubres. Le genre d’endroit à éviter de toutes urgences si vous ne voulez pas y laisser quelques tâches sur vos habits. Heureusement pour la plupart des consommateurs, leurs visites régulières n’en avaient que salies le peu de propreté qu’il leur restait. C’étaient des énergumènes, majoritairement patibulaires, qui buvaient leur picrate sans espérer qu’il puisse avoir un bon goût un jour. Ils en étaient las de la vie, il n’y avait qu’à voir comment ils se tenaient sur leurs petits tabourets, crispés sur eux-mêmes. Personne n’irait les faire descendre d’un tel présentoir, qui les élève un peu dans leurs vies misérables.
Tous étaient pris, mais les clients restaient peu de temps à l’intérieur de l’établissement. Parfois, il partait sans laisser d’adresse. On les retrouvait, dix jours plus tard, une bière dans la main et des soucis dans l’autre, prêts à vous faire la morale sur la vacuité du système.
Et au milieu de tout ça, une table où buvait un homme. Il fut aussitôt rejoint par quelqu’un qui lui ressemblait beaucoup. Ils échangèrent des formalités et la même boisson. Deux cafés trônaient dorénavant sur la table, attendant l’arrivée du troisième gaillard. Ce-dernier fut autant discret que les deux précédents, il emprunta la porte de derrière, évitant au passage, qu’elle claque d’un coup de vent.
Le troisième café était là, il ne manquait plus qu’un début de conversation.
« Est-ce que vous avez vos pass ? »
Deux diplômes se déposèrent d’eux-mêmes sur la table.
« Et l’argent ? Pour l’assurance, et l’appartement ? »
Aussitôt dit, aussitôt fait, les mains s’actionnèrent à pêcher de derrière leurs imperméables, une série de piécettes rouillées.
« Merci. Vous savez, c’est une formalité. Et puis, je ne suis pas autorisé à amener deux personnes dans la zone, donc le risque est beaucoup plus gros. »
« Tout comme la somme. »
« Oui, il est vrai que je demande beaucoup, mais ce que vous y verrez, je veux dire là-bas, vous tourneboulera la cervelle ! Si j’y retourne à chaque fois, c’est pour mon plaisir personnel. »
« Et pour la somme. »
« Bon, partons tout de suite. A l’aube, c’est là où il y a moins de soldats. La milice guette. »
Et ils y allèrent. Et ils marchèrent. Longtemps.
Pas le temps pour un petit somme.
When some loud braggart tries to put me down
And says his school is great
I tell him right away
Now what's the matter buddy
Ain't you heard of my school
It's number one in the state
« Alors, bienvenue/bienvenu à ce master de cinéma à l’université de Bordeaux. Vous êtes ici, venu/venue de tous les horizons (principalement d’études plus dures) même si ce n’est pas forcément en adéquation avec vos études précédentes. »
« Je viens d’une licence d’histoire, et ce que cela va poser un problème quant à la continuité entre les deux ? »
« Pas du tout. Nous ne ferons pas d’histoire. C’est un peu trop dur à enseigner. Et puis, vous apprendrez sur le tas, trois ans à rattraper c’est long, mais on vous aidera. Vos camarades sont là pour ça ! »
(A la fin des deux heures de rentrée)
« Eh ! Comment tu t’appelles ? »
« Siegfried. »
« Bien, inscris ton nom sur cette feuille, je t’inviterai sur Facebook pour le groupe de la classe. »
« Ok. »
« Et n’oublie pas, ce soir, on fait une soirée dans un bar pas loin de chez moi. Tu y seras ? »
« Ok ! »
« Nous y sommes ! Dans la zone interdite ! Il s’en est fallu de peu ! Les soldats nous ont coursés jusqu’au bout ! »
« J’en ai vu aucun. »
« Les bruits de leurs bottes se répercutent encore dans mes oreilles ! Grâce à moi, vous avez pu passer ! »
« Je n’ai rien entendu. »
« Bon, ici, le chemin sera très tortueux. On a beaucoup de devoirs à rendre, et puis, des cours à foison. On arrivera dans la bibliothèque dans quelques jours à peine, si on a de la chance. On pourrait être tenté par les soirées étudiantes, et dépenser tout notre argent, nous qui en avons si peu. »
« En même temps, c’était une sacrée somme. »
« Je te le dis ! Ce sont des voleurs ! Ils nous volent tout notre argent ! La précarité étudiante ! Tu te rends compte ? Nous n’avons pas de fric pour aller en soirée ! Rien qu’une petite pinte ! »
(Ce soir-là)
« Tiens, voilà ta nouvelle pinte. Tu me rembourseras. »
« Alors, quel est votre réalisateur préféré ? »
« Moi, c’est Xavier Dolan. »
« Et toi ? »
« De qui ? Moi ? Euh… c’est Dolan. »
« Et pour toi ? »
« Euh, je crois qu’on l’a déjà dit. »
(Silence gênant)
« Désolé, je suis en retard, je trouvais pas le bar, et c’est ma première journée à Bordeaux. »
« Décompresse mec. Comment tu t’appelles déjà ? »
« Siegfried. »
« Ok, drôle de nom. De mon côté, je m’appelle Pierre. Voici Paul, Pierre, Jean, encore Pierre, Jeanne, une Marie, et Pierre. »
« Tu habites où ? »
« J’habite à la périphérie de Pessac. »
« Ah, je connais. Pessac Centre ? C’est ça ? C’est super joli. Il y a un cinéma là-bas, une boulangerie, un petit marché les dimanches, et aussi une gare, un… »
« Ah non. Moi, je suis à la périphérie. »
« Ah. »
« Lointaine périphérie, il y a des gitans devant chez moi. »
« En parlant de Pessac Centre, il y aura Céline Sciamma la semaine prochaine ! Faut y aller ! »
« Désolé, c’est pas comme si parler de cinéma, c’est chiant mais qui veut parler sexe ? »
« Moi ! »
« Moi ! »
« Qui est excité des nombrils ? »
« Ton tour de poitrine, c’est A. Ahah, c’est marrant. »
« Qui a vu 1 cup, 2 girl ? »
« Et human Centipede ? »
« Moi, je suis bisexuel. »
« Et moi, je suis homosexuel. »
« Maintenant, qu’on a quelques litres de bières dans le sang, on va commencer à faire des rapprochements gênants entres les étudiants. Toi Siegfried, je te verrai sortir avec S. »
« Ah ! Je suis fier de cette soirée. On a dépensé notre argent et maintenant, nous allons regagner notre logement. Siegfried, tu prends le tram avec nous ? »
« Ok ! »
« Alors que pensez-vous du dernier film de Gaspar No…Eh ! Voici notre arrêt. On te laisse, rentre bien camarade. »
« Merci bien ! »
(13 arrêts plus tard.)
« Bonjour, alors je me présente, Madame V., et j’ai un réquisitoire à vous faire supporter concernant moi-même et le terrible sort qui ne touche que moi. (Hum, hum) Vous devez être au courant qu’un autre prof devait s’occuper de vous, et qu’à la place, vous finirez avec moi. (rire) C’est dû à l’administration, et à leur organisation en carton-pâte. J’ai subi une injustice des plus flagrantes. On m’a averti du jour au lendemain, que je devais remplacer votre prof. Pas de pot, je n’ai rien préparé moi. Comment vais-je faire alors ? Eh ben, je vous le donne en mille. Je vous lirai des informations sorties tout droit de pages wikipédia et rien de plus. Et non, je ne déconne pas, je l’ai vraiment fait. Maintenant, grâce à ses plus plates excuses, vous ne pourrez, en aucun cas, me critiquer sur ma façon de faire. Des questions ? … Oui ? »
« De quoi va-t-on parler dans ce cours ? »
« Nous allons étudier la filmographie d’un auteur. D’un très grand auteur. Il s’agit de Chris Marker. Quelqu’un connaît Chris Marker ? Oui ? Autrement, c’est cassez-vous de là. (rire) Non, sans déconner, tout le monde est obligé d’avoir vu au moins La Jetée. »
(Je ne l’avais pas vu.)
« Oh ! Regardez, une manifestation ! Une AG ! Posons-nous ici, chers aventuriers de la zone interdite, on doit se reposer les méninges avec ce flot de paroles. »
« Madame la directrice, nous demandons des excuses ! »
« Nous avons plusieurs points du jour à aborder, essayons de ne pas durer trop longtemps sur ce sujet. Alors, je résume l’histoire. Comme vous le savez, nous avons engagé des gardiens... »
« Fachos ! »
« Une milice ! »
« … pour protéger l’université. Car comme vous le savez très très bien, des élèves tentent de bloquer les portes. »
« Des résistants ! »
« Prêt à défendre nos libertés. »
« Ainsi, ce gardien qui aurait insulté la fille… »
« Aurait ? »
« Quel affront ! »
« … a des problèmes psychologiques. Il vit dans un quartier difficile et puis, il est le porteur d’un germe très rare qui transforme les gens en gobelins. »
« Sortez les violons, les nazis ! »
« Pauvre chou ! »
« Bref, il s’excuse d’avoir traité cette fille du mot qui commence par un P et qui ressemble au mot Zut. »
« Attention, je vous surveille madame, vous avez failli le dire. C’est pas bien d’être misogyne. »
« La pauvre fille ! Vous vous rendez compte ? Elle ne s’en remet pas, elle nécessite des excuses ! »
« Sortons les violons, les amis ! »
« Oh non ! Un autre soldat/soldate est tombé/e à terre ! Tant d’injustices lui a coupé la chique, vite ! Une doctoresse ! »
« Encore un autre tombé/tombée au combat. Quelle tristesse. »
« 50 minutes de silence lui seront attribuées. »
« Bon, pouvons-nous passer au prochain point, il ne nous reste plus que 50 minutes. J’ai ici vos revendications concernant la précarité… »
« Bon sang, vous n’avez pas de cœur ? Nous pleurons la mort de l’un d’entre nous. Provoquée par vous ! »
« Demandons-lui des excuses ! »
« Bien vrai ! Elle est obligée de nous les donner, et puis, on en a grandement besoin. »
« Sortez les mouchoirs, les nazis ! »
« Bon, ok, ok, je m’excuse voilà. Pouvons nous aborder la question de… »
« Oh ! C’est l’heure d’aller manger à la cantine, les amis ! »
« A la soupe ! »
« Vous ne pouvez pas nous refuser d’aller manger à la cantine, vieille folle ! »
« On se reverra, madame, dent pour dent ! Œil pour œil ! Tenez vous bien à carreau, hein ? La prochaine fois, vous allez descendre de votre pupitre ! »
« Ouais ! Faites attention hein ? »
(Applaudissements dans les airs car taper dans les mains est devenu quelque part offensant.)
« Voici la cantine, notre fief prolo ! Rassemblons-nous et travaillons ! »
« Nos études ? Parce que j’ai pas ramené mes cours de socio. »
« Non, imbécile, nous allons travailler la prochaine AG. Bon qu’y a-t-il à manger aujourd’hui ? »
« Le sandwich du jour, c’est un campagnard suédois à 1 euros le repas. Hummm, ça a l’air bon. Mais moi j’ai ramené un couscous maison. »
« Et moi, j’ai fait un sacré taboulé les gars avant de venir, vous allez m’en dire des nouvelles. »
« Quelqu’un veut de mon houmous ? Ai-je dit qu’il était maison ? »
« Du quinoa ! »
« Du soja ! »
« N’oubliez pas le riz fait maison, avec du boulgour ! »
(Une seule cuillère, et leur panse en était remplie. Une petite somme.)
"Et dire qu'il y en a qui ont pas le droit au menu 1 euro ! Seul les boursiers, t'entends ça ?"
"Quelle indignité..."
« Bonjour. Ah ! Vous n’êtes pas beaucoup, vous êtes sûr qu’il n’y a pas de malades ? Non ? Car il n’y a pas Pierre, ni Pierre, ni Clément, ni Guillaume. Je me demande où ils sont tous passés. Peut-être à une AG. Je les connais, on a fait la licence ensemble. Mais c’est bizarre pour un premier jour de cours avec moi. Pardon, j’ai oublié de me présenter, madame L. (Rire gênant) Bon, nous pouvons commencer le cours avec les 6 personnes ici présentes. Les initiés. Les Afficionados comme je les appelle. Aujourd’hui, nous allons parler des stars, des actrices aux robes éclatantes, d’Hollywood, des paillettes, de Cannes et de la réception. Commençons tout de suite, car il y a beaucoup à faire. (Raclement de gorge). »
(Les élèves attendent que ce puits de savoir se déverse.)
« Euhhhhhhh. Parlons tout d’abord de euuuhhhh, Catherine Deneuuuuuuve. C’est une grande actrice, je le sais très bien car je l’adoreeuuuuh. J’ai vu tous ces films. Je pourrais en parler pendant des heuuuuuuures. »
(Et c’est ce qu’elle fit.)
« Bon, on s’est bien reposé. On a assez poireauté dans cette cantine. Continuons ! Le temps c’est de l’argent, les gars ! »
« Et c’est toujours une sacrée somme. »
« Oh ! Regardez ! Une manifestation ! Ils ont déposé plein de chaises autour de la place publique ! On peut bien s’y reposer deux secondes avant de repartir pour la bibliothèque. »
« On dirait qu’il y a foule. »
« Ils ont fait un feu de camp. »
« Cet homme porte une jupe écossaise. »
« Chut ! Il parle. »
« Je suis le chef de la tribu. Mes petits arpenteurs des bois, nous allons envisager un blocage définitif de l’université. Cette dernière ne nous a pas écoutés quand on a avancé nos problèmes. La précarité étudiante ? Ils l’ont balayé d’un revers de la main ! Pour ce qui est de cette élève trans qui s’est suicidé/suicidée l’année dernière, personne n’a levé le petit doigt. Et je ne parle pas de cet élève qui s’est immolé à Lyon il y a 9 mois de cela. »
« Qui ? »
« Eh ben, j’ai son nom sur la langue. Cela commence par un P, et ça ressemble au mot zut. »
« Arrêtez tout ! »
« Qu’y a-t-il, messager ? Tu as traversé les Highlands sans te reposer ? Mon dieu, qu’on donne une part de gâteau végétalien sans gluten à cet homme. Il l’a bien mérité. »
« J’apporte une nouvelle, grand chef. »
« Une mauvaise j’espère, petit guerrier. »
« Oui, un résistant est mort ! C’est arrivé aujourd’hui ! »
« Super… terrifiant...."
« Il s’est défénestré à Lille. »
« Et ? »
« C’est un homosexuel ! »
« Ah ! Quel affront ! Vite ! Dépêchons-nous ! Il ne faut pas tarder, bloquez toutes les entrées ! L’université a besoin de partager la douleur en fermant ses portes ! Ils peuvent nous ôter la vie... Mais ils ne nous ôteront jamais notre liberté. Freeeeedom !!! »
(Quel cri de guerre !)
« Bon, mes chers aventuriers de la Zone Interdite, je crois qu’on va rester ici, le temps que tout s’ouvre à nouveau. Reposons nos oreilles, partageons la douleur d’avoir perdu un pair. »
« Le pauvre, il a dû payer une très grosse somme. »
« Après cette période de 56 jours de blocage de l’université, nous pouvons reprendre nos cours dans des conditions normales. Alors, je ne critique pas du tout le choix des élèves d’avoir bloqué l’université sans demander l’avis des autres, mais je soutiens leur choix de ne pas nous donner le choix. Au moins, ils nous ont donné le choix de les soutenir ou pas après le blocage. Retrouvons donc nos analyses filmiques. Nous étions la dernière fois en train de… (cherche parmi ses feuilles) ah oui… nous étions en pleine analyse d’un film que j’apprécie forcément… fortement. C’est Fenêtre sur Cour. »
« Vous en étiez monsieur B., si mes souvenirs sont bons, à la partie finale du film. »
« C’est vrai ! Maintenant que vous le dites, je m’en souviens ! Alors, dans la scène finale, on voit que le héros masculin est dans une chaise roulante. Il est comme qui dirait castré, par le personnage féminin, qui est dans une position de puissance. Elle lit un roman d’aventure, elle porte le pantalon, cela veut dire qu’une seule chose, mon réalisateur préféré est féministe même s’il date d’une époque misogyne. Je me suis pardonné, Seigneurine. »
« Très instructif monsieur, je vous suis dans votre repentance et je l’accepte. Veuillez recueillir l’extrême once de l’onctuosité. Femen. Avez-vous d’autres cours de Gender Studies pour nous bénir avec ? »
« Non, mais cherchez beaucoup et bien ma fille, le pèlerinage des connaissances interdites et cachées sous le manteau ne fait que commencer. »
« Et comme le dirait la sainte Despentes, pardonne ton prochain seulement si c’est une femme. Je dois vous avertir chers circonscrits, que je suis un homme. »
« On te pardonne. »
« Pour cela, j’ai besoin de faire un aveu durant mon cours. Je suis en train de lire un livre sur le féminisme. »
« C’est bien, cela commence bien pour toi. »
« Et il parle de sorcières. Comme quoi le patriarcat sévissez à cette époque. »
« Il est vrai, il est vrai. »
« Ainsi, je le dis, vous, les garçons de cette classe, prenez bien en compte que vos ancêtres ont tué les sorcières et que ce n’est pas bien de brûler des êtres humains. Salem vous pèsera sur la conscience. Sachez-le. Repentez-vous. »
« Nous te pardonnons… en partie et temporairement. Maintenant, passe-nous des bonnes notes. »
« Pour vous, mes saintes, je ferai tout. »
« Il est intéressant euhhhhhhhh de savoir queeuuuuuuhhh les actrices subissent le contrecoup du Vilain, du Patriarcat… »
(La classe se signe)
« Oui… (elle se signe), puisque vous le savez bien, mais la vieillesse touche les femmes différemment que les hommes. Les vieux acteuuuuuurs empocheront des rôles d’homme fort même jusqu’à la cinquantaine, euhhhhhhh tandis que les femmes, sont vieilles avant l’heuuuuuuuure, et subissent les rôles secondaires de mères éplorées… »
« Bouhhhhhhh ! » (La classe se lamente)
« Regardez toutes les actrices connues comme Deneuuuuuuve, ou bien Gaby Morlay (quelqu’un a vu un film de Sacha Guitry ? Non ? Eh ben, vous devriez bande d’inculte. Bande de bobos !). »
« Et les actrices secondaires ? Et les seconds couteaux ? »
« Qui ça ? Jeune homme, avancez vous et subissez le supplice des regards haineux, on ne fait pas du maninterrupting dans ma classe ! Bon, je reprends mon cours. (raclement de gorge, elle feuillette son magazine Paris Match)... et notre dictée… Céline…. A… dit. Dit. Entre guillemets, c’est dégueuuuuuuuu…. Lasse. Je n’ai… pas eu…. Ma palme…. Roman Polanski peut aller…. Se faire, faire (pas le métal, les enfants) entuber. Fin de la dictée. Regardez, comme elle est jolie sa robe, tellement de paillettes ! »
« Alors, je n’ai toujours pas préparé mon cours, mais comme je vous l’ai répété 56 fois, l’université ne m’a pas laissé de temps de le faire. Eh oui ! Quel monde tristement dégueulasse envers les femmes. En parlant de féminisme, je suis la seule dans l’université à proposer une ouverture concrète sur les gender studies. Voici le fond de ma pensée pendant deux heures. Par exemple, prenons ce film de Marker, il y a un homme qui parle et la femme reste silencieuse. Hautement sexiste ! Heureusement, comme c’est mon réalisateur préféré après tout, il a rectifié son tir. Dans son prochain court métrage, il a mis en avant la femme. Il l’a fait parler ! Vive le dieu Marker, d’un seul toucher, il donne la parole ! »
« Pouvons nous terminer ce débat sur Roman Polanski ? Je n’ai pas terminé mon cours sur La Ville dans Le Cinéma. Oui, je comprends votre avis et je le soutiens totalement. Roman est un connard. Et personne dans la classe n’aimerait dire le contraire dorénavant. Mais on ne va pas en faire un roman ? Si ? Bon, continuez à en parler, je suis payé pour remplir des trous de toutes façons. »
« Et c’est pour cela que je balance de but en blanc sans édulcorer que les femmes vont voir plus de films que les hommes. »
« C’est parce qu’elles sont plus intelligentes ! »
« Eh ben, je ne dirai rien… de peur de me faire virer. »
« C’est terminé, ma fille, le cours est terminé. »
« Tu as bien fait. Tu es bon. »
« Toi aussi, tu es si bo… enfin, bell… non.. je veux dire miséricordieuse. »
« Je te recueille en mon sein, mon fils, tu as fait ce cours à moi toute seule. »
« Eh oui. »
« Maintenant, éteins ta caméra zoom. »
« Merci… »
« C’est bon, chers aventuriers de la zone interdite. Nous sommes arrivés à la dernière étape de la Zone Interdite. »
« Et la bibliothèque ? Cet endroit est complètement désaffecté ! »
« Vous devez rendre un mémoire de Master. Une façon de savoir si vous avez apprécié le voyage. »
Le premier voyageur se leva et clama d’une voix haute.
« Je trouve que c’était un bon voyage, mais je ne vais pas continuer sur cette voie. Grâce à ce que j’ai vu (ou pas), je vais décider mon destin dans ce monde. »
« Qui est ? »
« Ecrire des articles sur les films dans un journal miteux boboisant de la région parisienne. »
« Un but louable. Et difficile d’accès. Peu ont le courage d’écrire leurs vies sur le papier. Moi de mon côté, je vais écrire ma thèse sur un court métrage. Dedans, on y voit un gamin qui joue avec un ballon rouge, ce ballon explose sous l’assaut d’une meute d’enfants. Ainsi, j’y vois le communisme. Mon mémoire va reposer dessus. »
(Grand silence pompeux.)
« Et toi ? Que vas-tu faire maintenant ? J’espère que tu vas entreprendre une thèse comme moi. Peu le font, peu d’âmes courageuses. »
« Ou peu de gens avec la somme adéquate. »
« Je trouve que tu es un peu trop cynique. Ce n’était pas la mort ces deux années. Après tout, tu as fait des connaissances. »
« Des connaissances ? Des amis ? Tu ne veux pas plutôt dire des fous ? La moitié m’a détesté à cause d’une stupide critique sur le Portrait de la Jeune fille en feu. L’autre partie m’a ignoré. Je ne parle pas des insultes sur les réseaux sociaux et dans la vraie vie. Et puis, ils ont décidé de me faire dégager de leurs soirées. »
« Tu exagères, bouffon n'est pas une insulte. Et la fille qui voulait sortir avec toi ? »
« Elle m’en veut pour ça, et aussi parce que j’ai critiqué les toilettes non binaires. »
« Je la comprends. Tu as été un peu dur envers elle. Et pour ce qui est des cours ? »
« Est-ce que tu vois le beau feu de camp qu’on a fait la dernière fois, pas loin des montagnes ? »
« Les Highlands ? Oh non ! Tu n’as pas osé ! »
« La connerie, ça brûle vite à Inbordeaux. Eh oui, it’s so sad to watch a sweet thing die. Oh Inferno. »
« Et maintenant que vas-tu faire ? Je te recommande de rester ici. Continue, serre les dents, louvoie devant l’adversité, fais ce que je n’ai jamais fait, apprécier la vie. Et tout s’imbriquera dans le bon sens. Tu feras des films un beau jour, tu seras réalisateur, mais d’abord, donne ta chance, trois ans supplémentaires, ce n’est rien du tout. »
« J’aimerai voir ce monde brûler. Et comme il brûle déjà, ce ne sera pas compliqué. Une bonne bombe nucléaire. Comme dans Lost. Un accident est arrivé, et il a fallu y jeter le noyau de la bombe. Ce master a été un accident de parcours, je jette la bombe et bam, je retourne dans le passé. En 2019. Big Bang. Plus de COVID, plus rien. Juste moi. »
« Un big Reset ?!! Mon dieu ! Tu es un monstre ! Il faut préserver ce lieu ! Il peut encore influencer des tas de gens ! Et puis, la bombe, c’est un choix de méchant pragmatique. Pas vrai Tarkovski ? (pause) Je suis sûr qu’il m’a entendu. »
« Tous les journaleux du monde ne te remercieront pas, Siegfried. Tu seras sûr que j’écrirai un article sur ton fascisme. »
« Je m’en vais. »
« Sans guide, tu ne pourras pas quitter la zone. »
« Ah bon ? »
« Oui, si tu sors du cursus. Tu es foutu. Pas d’avenir, rien du tout. Tu vas vadrouiller comme un bon petit père. »
« Je trouverai un chemin. Un restaurant à lequel m’attabler. Un lit pour me reposer, et peut-être un cimetière pour dormir un bon coup. »
« Bonne chance. Après la zone interdite, c’est la traversée du Désunivers. »
Et il partit.
Tout ce qu’il voulait, c’était une bonne somme de sommeil.
« Voilà, vous avez terminé votre oral. Et votre mémoire. Tenez, votre note, 11/20. »
« Ok. »
"Qu'allez vous faire plus tard ?"
"Eh ben... Je ne sais vraiment pas."
"Ah et ben, nous aussi."
"Cela fait un point commun."
« Bon, on va y aller. Au revoir. »
« Au revoir. »
Le couloir était vide quand il sortit de la classe. C’était la fin de l’année, et tout le monde avait mis les bouts. Car il était facile maintenant de profiter de la liberté. Plus de responsabilités, c’était terminé les cours, les devoirs débiles. Toutes ces bêtises. Maintenant, il n’y a plus d’objectif, de buts. Rien. Je m’avance vers une piste enténébrée.
Et puis, il semblerait qu’il fasse de plus en plus sombre autour de moi. Le soleil est en vacances ou quoi ? Ou bien est-ce normal ? Et le bruit strident ? Les alarmes ? Les gens qui courent ? C’est normal ?
Ah oui. Ça l’est davantage.