Stalker est un film essentiellement allégorique, diablement bien construit et cohérent dans son propos, propos rendu limpide par le caractère prolixe des différents protagonistes de l'œuvre, Tarkovski multipliant les affleurements permettant au spectateur de deviner ses prétentions métaphysiques, noyées sous une maîtrise technique et une recherche esthétique qui ont reçu à elles seules tellement d'éloges que je ne pourrais que vous lasser en tentant de vous en décrire le sublime et la virtuosité, je préfère donc m'appesantir sur ce qui ne ressort pas de l'immédiatement visible.

Le thème de Stalker est l'espoir, le sens, ce qui guide l'homme et lui impose une direction.
Il se révèle très vite (par opposition) en la personne de l'écrivain, soulard complètement désabusé qui entretient alors une jolie bourgeoise en quête de mystères et d'exotisme, démystifiant ses illusions les plus folles en usant de son esprit sagace et éprouvé, s'attachant à démontrer l'invraisemblance de ses chimères et à démonter sa futile volonté d'un expérience nouvelle.

Se joint à lui un professeur de physique, et aussitôt Tarkovski souligne les différences entre les deux hommes et les concepts dont ils sont la représentation : L'écrivain est l'abduction systématique, la pensée philosophique qui s'étend sur tout, prétend à tout, devine ou croit tout deviner, jusqu'au mouvement des astres, à partir d'une connaissance réduite. Il est celui qui spécule sur le noumène, quand le professeur observe les phénomènes. Le professeur est donc, par opposition, l'induction, l'esprit mathématique qui va au contact de la réalité, éprouve les faits et confond les théories. Abduction et induction sont, avec la déduction, les principales fonctions de l'intellect humain.

La Zone (qui renferme la fameuse chambre) est ici l'objet de convoitise : Dieu, l'Éden, le phantasme qui s'insinue et prolifère dans tout ce qui est inconnu. Elle représente pour l'écrivain la possibilité d'un salut, d'une mise en déroute, l'expérience mystique qui viendra démolir son système et lui offrir le nouvel espoir d'un sublime qui a depuis longtemps quitté une réalité qu'il inonde de son cynisme acide. Pour le professeur, elle est objet d'une curiosité et d'un intérêt bien particulier.

Le Stalker est le guide (pratique et spirituel, à tous les degrés d'analyses) qui va mener les deux intellectuels tout au long de leur périple, c'est lui qui est le plus exalté et le plus enthousiaste à l'idée de l'expérience qu'il offre à ses deux compagnons, tel un prêcheur convaincu, il vend l'espoir d'une vie nouvelle et de tout le reste encore, mais ne sait jamais ni montrer ni prouver la réalité d'un phantasme dont lui même n'a pu faire l'expérience. La Zone est pour lui l'objet d'une adoration et d'une crainte fébrile, lieu de culte, loin des hommes, de leur agitation et de leur intellect profane, lieu qui redonne à la vie toute ses couleurs.

Mais l'œuvre de Tarkovski est surtout l'histoire d'une incompréhension. Jamais les deux intellectuels (Intellect) ne se prendront vraiment au jeu de l'exalté mystique (Espoir), continuant pourtant de le suivre avec ce mélange de curiosité et cette volonté déterminée et méthodique qui les à poussés à contacter le Stalker. Ils resteront complètement fermés aux promesses de l'homme, préférant s'abandonner à un nihilisme pénétrant, qui hante ces lieux que seul le silence habite.
La fin est plutôt évocatrice et pessimiste, elle témoigne de l'incompatibilité d'une foi et d'un espoir vivifiant avec le fonctionnement d'un esprit qui acquiert connaissances et s'étend sans fin, détruisant le rêve quand il ne le méprise pas simplement, ôtant toute substance au phantasme et au sublime (sur lequel il préfère conserver un empire). Le professeur cherche à contrôler, dominer, éradiquer ce qui échappe à son entendement, quand l'écrivain le dédaigne simplement, convaincu (à tort ou à raison) qu'il ne s'agit là que d'imposture et de la même médiocrité ambiante qui jonche la réalité qu'il habite. Tous deux abandonnent alors un espoir devenu mourant.
SummerWin
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le 18 juin 2011

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Cool Breeze

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