Pour son quatrième long métrage, Sean Baker décide de surprendre tout en restant fidèle à ses méthodes et principes. Il met donc en scène une jeune femme nommée Jane qui a tout de la starlette, comme son comportement l’indique dès le début. Mais le réalisateur nous réserve quelques surprises…
Jane (Dree Hemingway) est une jeune blonde mignonne, petite vingtaine, qui vit dans la région de Los Angeles. Elle habite une maison qu’elle partage avec sa meilleure amie, la brune Melissa (Stella Maeve). Les deux affichent la décontraction de personnes affrontant la vie sereinement. Sauf qu’après 45 minutes de projection environ, on ne sait toujours pas de quoi elles vivent. Le seul maigre indice de cette première partie vient quand Jane envisage de refaire la décoration de sa chambre. Pour limiter ses dépenses (suggestion de Melissa), Jane court les brocantes. C’est ainsi qu’elle achète une bouteille thermos à une vieille dame qui mettait des objets en vente dans son jardin. Remarque au passage, Jane voyait l’objet comme une urne funéraire destinée à recueillir des cendres et elle compte l’utiliser comme vase.
Première surprise
De retour à la maison, Jane découvre par hasard un petit magot dissimulé dans la bouteille : plusieurs rouleaux de billets de 100 dollars. Finalement, considérant la bouteille comme une bonne cachette, elle y remet les rouleaux sans rien dire à sa copine Melissa. Mais, visiblement, elle culpabilise vis-à-vis de la vieille dame, puisqu’elle va la retrouver pour en quelque sorte compenser le fait qu’elle ne lui rendra pas le magot. À noter que la vieille dame ne se comporte jamais comme si cet argent lui manquait. Par contre, Jane persévère et se rapproche progressivement de cette femme dont on apprend qu’elle se prénomme Sadie (Besedka Johnson). Pourtant Sadie se méfie, car elle ne comprend pas pourquoi Jane se montre gentille avec elle. Elle va jusqu’à menacer Jane de porter plainte, d’appeler la police.
Nouvelle surprise
Au bout d’une heure de projection environ on comprend que Jane et Melissa gagnent leur vie en tournant pour des films pornos. Soit dit au passage, on comprend alors d’où vient le personnage de Mikey dans Red Rocket. Ici, Sean Baker se permet d’aller jusqu’à montrer Jane en plein tournage. Il s’arrange néanmoins pour ne donner aucune prise aux tendances voyeuristes, grâce à quelques floutages astucieusement placés et à un montage très dynamique.
Ceci dit, on voit déjà mieux où il veut en venir, même si le film peut laisser perplexe. Concrètement, il met en scène la perte de valeurs, avec Jane et Melissa qui ne voient pas la gravité de leur choix de vie, la façon dont elles s’avilissent, même si Sean Baker met tout cela en scène sur un ton où la comédie affleure.
Ainsi, on note que le réalisateur du porno se veut inventif, puisqu’il évoque la possibilité de « filmer une pipe en caméra subjective » !
Sean Baker nous introduit donc dans un monde où chacun pense, calcule et réfléchit sérieusement sans réaliser qu’il est tombé bien bas. Au-delà des séquences de tournages sur le porno, on atteint un sommet lorsque son réalisateur emmène Jane à une sorte de congrès accueillant du public, qui permettra à la jeune femme de rencontrer ses fans ! À un autre moment, le copain de Melissa met en scène un cadeau pour les filles, mais il n’a pensé qu’à ce que cela pourrait rapporter financièrement, toujours dans le même domaine d’activités.
Jane et Sadie
Là où Sean Baker donne beaucoup à réfléchir, c’est qu’il montre que Jane n’est pas qu’une écervelée. Au cours de l’une de leurs sorties, on voit Jane et Sadie discuter tranquillement, assises sur un banc (avec un paysage sur fond de pylônes et câbles à haute tension). À une question de Sadie, Jane explique qu’elle n’a pas de petit copain, car ce ne serait pas compatible avec son activité professionnelle. Elle est donc consciente d’un certain nombre de choses et d’ailleurs, avec Sadie, elle se montre attachante car elle ne se contente pas de la sortir, elle cherche vraiment à lui rendre service, l’écouter et la traiter en personne sensible. D’ailleurs, le final va dans ce sens, puisque sur la route de l’aéroport, Sadie demande un arrêt. À cette occasion, l’émotion monte car on comprend avec Jane un aspect fondamental de la personnalité de Sadie.
Jane et Melissa
Sean Baker complexifie son scénario en ménageant un moment où Melissa seule à la maison, tombe par hasard sur le magot et comprend que Jane ne lui en a pas parlé, ce qui la met évidemment en fureur.
Cela confirme que Melissa représente la face sombre de l’univers présenté ici par Sean Baker, car elle s’est déjà montrée incontrôlable vis-à-vis de la boîte de production pour qui les jeunes femmes tournent. Sa révolte faisant juste apparaître son caractère de cochon, car elle est visiblement en tort. Le souci, c’est qu’apparemment Jane n’est que la locataire de Melissa.
Morale
Enfin, il faut parler de Starlet… le chien de Jane.
Bien qu’il apparaisse assez souvent à l’écran, non, ce n’est pas le personnage principal du film. Il a certes un rôle crucial au regard du scénario et, bien entendu, il compte pour Jane. Mais on peut considérer qu’avec son titre, Sean Baker ménage une fausse piste à sa façon, qui s’accorde avec l’aspect lumineux de l’affiche où justement Starlet pointe son museau. La morale du film est, à mon avis, que l’évolution de la société va vers une banalisation de certaines pratiques peu reluisantes, car ce qui compte c’est de gagner de l’argent.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné