Les lendemains qui déjantent
Comme son héroïne India qui emprunte les pièces vestimentaires de ses proches pour se composer une sorte d’armure, Park Chan-Wook emprunte aux grands cinéastes anglo-saxons quelques effets de style ou savoir faire pour composer un film si ce n’est dérangeant (un peu quand même), pour le moins très paradoxal. On pense (c’est une évidence pour tous) à Hitchcock dans cette structuration de mécanique bien huilée et glacée qui semble ne pas pouvoir s’enrayer. L’ombre de Haneke et son Funny Games U.S rôde aussi sur quelques scènes… Il arrive même à supplanter Peter Greenaway en matière d’esthétisme visuel, adoptant avec malice des cadrages surprenant et sublimes au niveau pictural, architectural. Comment ne pas y voir également une admiration pour Gus Van Sant… Avec notamment la scène de la douche, très proche de celle de Paranoid Park, mais totalement en opposition avec cet espiègle contre-pied final en matière de culpabilité… On pourrait continuer cet inventaire tant les références sont nombreuses. Nombreuses, ici ne voulant pas dire plagiant.
Chan-Wook, pour son premier film aux états-unis, se place dans un contexte réel. A l’inverse d’un Wong Kar Wai avec son « Blueberry nights », voire même d’un Wenders avec son « Paris Texas », il ne mâche pas ses images. Il n’idéalise pas une Amérique révée, ne l’auréole ni de néons poisseux, ni de romantisme exacerbé. Park Chan-Wook reste lui-même, avec ses contrastes, ses fulgurances et ses interrogations.
On lui reproche une intrigue simpliste, à cela on pourrait rétorquer que le contenu (l’histoire) vaut moins que le contenant (le sens qu’il donne à son propos par la représentation de ce destin implacable). Et ici, c’est tout son savoir-faire qui s’exprime, avec force et passion. Il dépasse le simple cadre du film classique et s’inscrit dans une démarche d’ascétisme artistique. On pressentait déjà cela avec « Je suis un cyborg », hélas le film était un peu plus maladroit.
Mais, le talent n’est pas une fin en soit. Stoker ne serait dans ce cas qu’un objet filmé, certes somptueusement mise en image, mais désincarné. L’interprétation joue un rôle essentiel et le choix de Mia Wasikowska est irréprochable. Elle apporte à India toute l’effervescence et la perversion voulue. Seule « vivante » face aux autres acteurs dont le jeu théâtralisé souligne à merveille leur destin de marionnette. En incarnation de l’archange du mal, elle est bluffante !
Stoker est un film déconcertant, magnifique, horrible, prodigieux, nauséeux… On en ressort éviscéré et émerveillé ! En un mot Stoker est simplement génialissime !