En d'autres mains, Stoker aurait pu revêtir les oripeaux du thriller psychologique, du film d'horreur, du home invasion ou encore ceux de la romance bizarre. Si Park Chan-Wook sort son shaker et mixe tous ces éléments, il privilégie cependant le récit initiatique, celui où la petite fille casse la coquille de son oeuf en devenant une femme. Le dialogue inaugural ne laisse pas planer le doute, tout comme ces touches de jaune qui entourent la jolie Mia Wasikowska ou encore cet oeuf taché de sang au milieu du nid d'un oiseau empaillé.
Le nid, c'est cette immense demeure où la reine et sa princesse semblent être comme prises au piège, enfermées dans une cage où s'insinue un élément perturbateur au visage si doux, si dérangeant. Il suit sa nièce - ou bien est ce elle qui le suit ? - jusque dans ce grand escalier où il l'invite à se hisser à sa hauteur, avant de semer le trouble entre une mère et sa fille déjà bien lointaines l'une pour l'autre. Tout cela est filmé de la plus douce des manières, avec toujours quelque chose de dérangeant ou qui met mal à l'aise, comme le bruit entêtant de ce métronome.
Dans cette maison où dominent les blancs, les verts et les bruns, les personnages se fondent littéralement au décor par la paleur de leur teint où leurs traits qui semblent à jamais figés, comme ceux des poupées auxquelles Nicole Kidman ressemble désormais, lisse, le visage presque dénué d'émotions.
En revanche, sous les traits de la jeune India bouillonne la révolte, ainsi qu'une attraction/répulsion étrange envers un Oncle Charlie au charme vénéneux. Il n'est qu'un élément du malaise constant distillé par un Park Chan-Wook qui n'a rien perdu de sa maîtrise en traversant le Pacifique, ni de ses images équivoques qu'il applique à la sexualisation et à l'attirance que ressent l'adolescente. Il garde aussi intact tout son art de la mise en scène, ici syncopée et tournant autour des trois personnages principaux tout en les reliant avec virtuosité.
Au coeur de cette tension, palpable, la taciturne India évolue et se définit, tant dans la répulsion et la rancune qu'elle éprouve pour sa mère que dans sa relation trouble avec son oncle, jusqu'à s'abandonner à lui lors d'un duo au piano montant jusqu'à l'extase. Son personnage sera ensuite révélé dans sa complétude dans une scène de douche qui semble intervenir comme au terme d'un viol, alors qu'elle monte doucement dans un second abandon délicieux en revivant les actes accomplis avec son oncle.
En terminant sa mue, on se rend compte, finalement, que ce qui anime la jeune fille était déjà contenu en germes depuis son enfance en réalisant avec effroi qu'elle partage certaines attitudes avec Charlie. La coquille de son oeuf cassé, les chaussures plates échangées contre des talons hauts, India devient une femme et révèle sa véritable nature, à l'instar d'une famille figée, ramassée sur elle-même et rongée par les secrets, les cadavres dans les placards, le ressentiment et la folie. Tout cela fait de Stoker un film tout aussi sophistiqué que glaçant, tout aussi lumineux que noir dans les tréfonds de ses personnages ambigus, aux images frappantes et délicates. Dualité prolongée par la douceur d'un générique final rythmé par le flow heurté de son interprète Emily Wells, achevant de faire de cette escapade américaine une oeuvre entêtante et dont on se souvient longtemps après la diffusion.
Behind_the_Mask, qui ne retrouve plus sa ceinture.