"Vertigo" est un film diaboliquement intéressant.
S'il me fallait résumer ce film, il faudrait déjà distinguer deux parties très différentes.
Dans la première partie, de facture plutôt classique, John Ferguson (James Stewart), sujet au vertige, est manipulé par un ami pour contribuer, à son insu, à l'assassinat (camouflé en suicide) de sa femme dont il est tombé amoureux, .
Dans la deuxième partie, le même John Ferguson, qui s'en veut terriblement de n'avoir pu empêcher ce suicide, essaie de reconstruire une femme identique jusqu'à ce qu'il découvre la supercherie.
Hitchcock donnant la clé du mystère à peu près à mi-parcours, le spectateur se trouve en avance sur le personnage de James Stewart qui tente de se reconstruire. Le film se transforme ainsi en un thriller dont l'enjeu est la découverte de la vérité par le personnage de James Stewart.
Le générique de Saul Bass... Bâti sur un oeil en gros plan qui devient rouge (dans lequel apparaissent les noms des acteurs, le titre, etc ...) et donne le ton au film qui reste très visuel.
Tout est en en trompe-l'œil dans le film. La manipulation que subit John est complètement visuelle. Tout part de la ressemblance avec Carlotta, un personnage qui a vécu au siècle passé et qui figure sur un tableau dans un musée. Madeleine (Kim Novak) est obsédée par cette Carlotta que le spectateur comprend être un modèle ; c'est ce modèle qui devient subrepticement dans l'esprit du personnage de James Stewart, une idée factice de la perfection vers laquelle tend Madeleine. C'est lorsque cette image va devenir une femme en chair et en os qu'il va sauver de la noyade, que John va tomber éperdument amoureux. Mais il est amoureux de quelqu'un qu'il ne peut pas connaitre puisqu'il ne s'agit que d'une apparence et qu'il va perdre aussitôt à cause de son acrophobie. Il ne lui restera que l'image.
Dans la deuxième partie, comprenant bien que Madeleine est morte, obsédé par son échec, il ne reste plus à John qu'à remodeler une femme quelconque, Judy, (Kim Novak), prise dans la rue, pour réobtenir l'image vivante perdue. Mais il ne s'intéresse pas à la femme qui n'est qu'une matière brute et vivante qui ne présente aucun intérêt pour lui sinon de pouvoir être transformée à l'image de Madeleine. Tout ira bien dans la manipulation de Judy jusqu'au moment où Judy ayant accepté de se fondre dans le personnage de Madeleine, revient involontairement dans le réel et rompt le charme. Tragiquement.
En fait, James Stewart est dans la position d'un réalisateur qui va modeler un acteur (ou une actrice) afin de le faire rentrer dans le moule du scénario ou de son idée.
Au fond, dans le film, il ne s'agit pas vraiment d'amour ou du moins, cet amour ressemble à celui qu'un spectateur peut éprouver pour une acteur ou une actrice dans un rôle donné. Alors que l'amour, le vrai, ne peut concerner qu'une personne physique vraie. C'est toute la magie du cinéma (ou de la littérature, d'ailleurs), de prêter, le temps d'un film, une image au spectateur afin qu'il puisse s'assimiler ou s'immiscer dans l'action. En aucun cas, l'image prêtée au spectateur ne reflète la vraie personnalité de l'acteur ou de l'actrice. Heureusement.
Par ailleurs, la réalisation de Hitchcock est époustouflante : ses prises de vue par exemple dans la première partie (notamment dans le cimetière) ou encore l'astuce pour créer l'impression efficace de vertige ; la mise en scène est grandement aidée par la musique de Bernard Herrmann.
Un petit regret sur Barbara Bel Geddes qui joue le rôle de l'amie fidèle de James Stewart, la seule du film à conserver les pieds sur terre et dont le personnage s'efface à la fin de la première partie. Son personnage aurait pu être un peu plus développé.
"Vertigo" est un film à multiples facettes, très intéressant si on regarde le film comme une succession de tableaux en trompe l'oeil où, à l'exception du personnage de Barbara Bel Geddes, tous naviguent dans l'illusion, volontaire ou involontaire, à la limite terrifiante, dont l'issue ne peut qu'être tragique.