Jared Letonnant

Il est une chose qui commence à devenir sérieusement agaçant : c'est cet acharnement constant des pro Marvel sur les films DC, et vice-versa, cette guéguerre des firmes, ce conflit ridicule et puérile. Et vas y que ça charcle sur les réseaux sociaux, par messages, sur les blogs et les critiques; bientôt, on se battra dans la rue pour savoir qui de Darkseid ou de Thanos est l'original ( et ce même si la réponse est vite trouvée ).

J'en ai sérieusement marre que l'on compare constamment les productions Marvel à celles de la Warner; d'un côté, t'as un divertissement dans l'instant, une l'esthétique commune. De l'autre, t'as des films qui parlent de politique, de religion et de la place de l'homme dans le monde, avec tout autant d'action ( pour l'action, ça concerne ce Suicide Squad, justement ). Il n'est pas question de choix de firme, à mon goût, il est surtout question de voir les films qui nous plaisent, les oeuvres qui nous intéressent.

Et c'est exactement ce que je fais; même si j'ai un léger penchant pour les productions DC ( c'est plus dark, le ton est plus adulte; il correspond mieux à ce que j'apprécie ), je reconnais aux Marvel d'indéniables qualités ( celle de nous divertir sans aucune prétention, par exemple ). Alors imaginez bien mon état de frustration quand je tombe sur d’assommants immondices démontant chaque production DC; tu pourrais leur sortir Watchmen, les pseudos cinéphiles de 14 piges trouveraient le moyen de dire que "c'est de la merde, parce que ... c'est pas drôle et les acteurs sont pas ceux de Marvel".

Cette mauvaise foi me la fout mal; vraiment, c'est gavant, au bout d'un moment, et ça force à se choisir un camp. Sauf que j'en ai marre d'y participer; je vais donc vous parler de ce film avec la plus grande objectivité possible. Tout d'abord, faut quand même avouer que le film respecte le comic de base; l'ayant lu dans l'après midi, je peux vous dire que les personnages sont plutôt fidèles à leur version de papier ( surtout El Diablo ); seuls les rapports entre Quinn et Deadshot surprendront, voire même pourront décevoir, tant ils sont normalisés, banalisés.

D'un côté, tous les personnages connaissent une sorte de rationalisation de leur folie; celui qui ne lit pas les comics gueulera au plus haut point, notamment pour El Diablo; mais sa personnalité est respectée à la lettre. D'un côté, cela m'a plu; l'on aime généralement se plaindre du manichéisme des bad guys de comics. Ici, il n'en est rien, et ce n'est qu'entre eux qu'ils sont "solidaires"; et même si l'aspect fausses menaces des répliques de Deadshot pourra agacer, cela ne m'a guère dérangé.

Et pour plus approfondir sur cette rationalisation des méchants, je dirai que cela n'a de réelle importance que pour deux heures; Deadshot reste Deadshot, Harley reste Harley; et même s'ils ont tous eu leur moment de lucidité, comme un passage de faiblesse personnelle, ils sont voués à être méchants; à l'image d'un Joker dans le chef-d'oeuvre "Killing Joke", ou d'un Henry Ducard, dans "Batman Begins". C'est juste qu'ici, c'est fait à plus grande échelle, alors forcément, ça coince. Pour certains personnages, ceux dont on se soucie; autant vous dire que de Slipknot ou Killer Croc, on n'en a rien à faire.

L'écriture pourra elle-même en décevoir certains; il est vrai que le scénario n'est pas forcément le plus original au monde, mais dans la logique du film, cela ne dérange pas; bien plus que l'histoire, ce sont surtout les rapports entre les différents personnages qui sont le plus intéressants, notamment la fusion charnelle entre Leto et Robbie. Les deux affichent une véritable alchimie; car bien plus que de se ressembler, ils se complètent.

Contrairement à ce que beaucoup ont longuement avancé, Leto est un Joker très convaincant. Très différent de Ledger, Leto amène une autre dimension au personnage, une nouvelle vision de sa folie. Bien plus que d'avoir le physique du personnage, il lui apporte sa propre personnalité, et s’approprie le personnage. Il faudra également relever la voix attitrée de Tobey Maguire pour le doubler en VF.

Le tout est parfaitement assaisonné par une mise en scène qui a de la gueule, et n'hésite pas à offrir à son oeuvre un côté "90's" des plus appréciables. Il faut voir "Suicide Squad" comme la promesse d'un film d'action à l'ancienne, avec de sacrés passages bien glauques ( cf la scène de retour dans le métro, cauchemardesque à souhait dans son esthétique ) et des situations funs, so cool, en plus de punchlines plutôt bienvenues.

On pourra lui reprocher son humour sortant de nulle part dans un univers maniaco-dépressif à la DC Comics moderne, et les bad guys auraient pu être largement meilleurs; le personnage de l'enchanteresse est parfaitement retranscrit, mais Cara Delevingne n'a peut-être pas le physique, ou le charisme pour interpréter la méchante; tout comme le géant là, cet étron en CGI dégueulasses sortant de nulle part. A noter également que les effets spéciaux globalement de bonne facture, si l'on omet quelques exceptions fâcheuses.

Alors ouais, je reconnais que c'est un poil brouillon, que certains passages manquent d'un poil de lucidité narrative, mais mince, quand t'as un tel divertissement, quand tu tombes sur un film d'action à la Schwarzy ou la Stallone, et que t'es fan de tous ces trucs bourrins et burnés, tu peux que kiffer ta race. Faut juste pas se prendre la tête, prendre le film pour ce qu'il est, et savourer la mise en scène toujours efficace et esthétisée de David Ayer.

Critique publiée sur le blog.