J’ai le sentiment que Sundown fait partie de ces films tellement viscéraux qu’il révèle, non seulement des divergences esthétiques, mais carrément des visions du monde opposés. Car esthétiquement, la force cinématographique de la chose est indéniable, la maitrise sèche de la narration cohabite magistralement avec une captation sensorielle du réel contenue dans chaque plan et chaque scène, dont la suffisante concision témoigne de la puissance. Mais voilà, l’opacité savamment entretenue du film ouvre une brèche pour chaque spectateur d’y projeter sa propre expérience existentielle, la beauté se trouvant toujours en partie dans l’œil du regardeur, comme on dit. Et il est des yeux moralisateurs qui s’arrêtent bêtement sur la froideur apparente du film, synonyme d’insensibilité voire de misanthropie, une sensibilité ne devant s’exprimer, visiblement, que par l’étalage sentimental comme dans tant de films à succès. C’est justement de genre de codes qui a cours dans la vie comme dans le cinéma, celui de la dégoutante comédie sociale à laquelle nous sommes tous tenus et dont on ne peut échapper qu’au prix d’un certain courage et en tout cas de l’incompréhension de nos inévitables congénères. Mais peut-être que voyant la mort en face, Neil a préféré ne plus. Peut-être que la goutte d’eau a été la perspective d’une cérémonie d’enterrement qui concentre toute la vulgaire hypocrisie de la comédie bourgeoise, exténuante pour qui a encore un peu de goût. Il suffit que le personnage y déroge pour que son entourage, à l’unisson des critiques moralisateurs, le rappelle à l’ordre, ne comprenant pas que son refus des convenances culturelles de l’émotion programmée puisse exprimer autre chose qu’une insensibilité ou de l’égoïsme. Je suis à deux doigts de balancer celle sur l’art et la culture si ce n’était la crainte d’être pompeux.


Quoi qu’il en soit, Neil est déjà loin de cet ici-bas. Son existence devra être dépouillée de tout superflu social, et réduite à sa quintessence sensorielle : bière, soleil, plage et sexe sans l’enfumage sentimental qui va avec. Dépouillée également, la mise en scène nous fait, comme le personnage, nous abandonner à ce réel sensoriel qui est peut-être le seul tangible dans la vie, l’exotisme opaque d’un pays étranger facilitant sans doute une sereine indifférence, un réel qu’on traverse avec lui le temps d’une heure et demi dans son pathétique, sa violence, son humour et sa beauté.

Mr_Purple
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2022

Créée

le 13 août 2022

Critique lue 68 fois

1 j'aime

Mr Purple

Écrit par

Critique lue 68 fois

1

D'autres avis sur Sundown

Sundown
AnneSchneider
8

L’ange du détachement

Soit un homme qui aurait décidé de vivre sa vie jusqu’au bout. Sa vie de vivant, son terme dût-il être fixé à assez brève échéance par les arrêts des dieux médicaux… Pour son huitième long-métrage,...

le 6 août 2022

19 j'aime

13

Sundown
Dagrey_Le-feu-follet
7

L'homme qui n'était plus là.....

Une riche famille anglaise passe de luxueuses vacances à Acapulco quand l’annonce d’un décès les force à rentrer d’urgence à Londres. Au moment d’embarquer, Neil affirme qu’il a oublié son passeport...

le 31 juil. 2022

13 j'aime

1

Sundown
Guimzee
3

Mauvaise contemplation

Quel pourrait être le souci majeur d'un film qui a pour objectif de mettre en scène l'errance d'un homme ? C'est de ne rien regarder d'autre que son personnage. Et c'est le gros problème de ce...

le 31 juil. 2022

11 j'aime

3

Du même critique

La Favorite
Mr_Purple
4

24 fois l’esbroufe par seconde

La comédie subversive et impertinente est en soldes en ce moment, vu que Lanthimos s'y colle pour votre plus grand plaisir: 2 heures d'irrévérence interrompue pour le prix d'un massage turc. Au menu...

le 9 févr. 2019

44 j'aime

11

Saint Omer
Mr_Purple
1

Saint Omer m'a tuer

On pourrait se demander dans un premier temps de quoi le choix d’introduire un arc narratif fictionnel (celui de l’écrivaine) dans cette histoire réelle est le nom. Car non seulement le prologue est...

le 23 nov. 2022

42 j'aime

13

Les Olympiades
Mr_Purple
4

La nouvelle "qualité française"

Tous les experts de l'expertise s’accordent à le dire : le cinéma va mal. Désormais sérieusement bousculé par les plateformes de streaming et les séries, colonisé de l’intérieur par les inévitables...

le 9 nov. 2021

39 j'aime

13