J’ai le sentiment que Sundown fait partie de ces films tellement viscéraux qu’il révèle, non seulement des divergences esthétiques, mais carrément des visions du monde opposés. Car esthétiquement, la force cinématographique de la chose est indéniable, la maitrise sèche de la narration cohabite magistralement avec une captation sensorielle du réel contenue dans chaque plan et chaque scène, dont la suffisante concision témoigne de la puissance. Mais voilà, l’opacité savamment entretenue du film ouvre une brèche pour chaque spectateur d’y projeter sa propre expérience existentielle, la beauté se trouvant toujours en partie dans l’œil du regardeur, comme on dit. Et il est des yeux moralisateurs qui s’arrêtent bêtement sur la froideur apparente du film, synonyme d’insensibilité voire de misanthropie, une sensibilité ne devant s’exprimer, visiblement, que par l’étalage sentimental comme dans tant de films à succès. C’est justement de genre de codes qui a cours dans la vie comme dans le cinéma, celui de la dégoutante comédie sociale à laquelle nous sommes tous tenus et dont on ne peut échapper qu’au prix d’un certain courage et en tout cas de l’incompréhension de nos inévitables congénères. Mais peut-être que voyant la mort en face, Neil a préféré ne plus. Peut-être que la goutte d’eau a été la perspective d’une cérémonie d’enterrement qui concentre toute la vulgaire hypocrisie de la comédie bourgeoise, exténuante pour qui a encore un peu de goût. Il suffit que le personnage y déroge pour que son entourage, à l’unisson des critiques moralisateurs, le rappelle à l’ordre, ne comprenant pas que son refus des convenances culturelles de l’émotion programmée puisse exprimer autre chose qu’une insensibilité ou de l’égoïsme. Je suis à deux doigts de balancer celle sur l’art et la culture si ce n’était la crainte d’être pompeux.
Quoi qu’il en soit, Neil est déjà loin de cet ici-bas. Son existence devra être dépouillée de tout superflu social, et réduite à sa quintessence sensorielle : bière, soleil, plage et sexe sans l’enfumage sentimental qui va avec. Dépouillée également, la mise en scène nous fait, comme le personnage, nous abandonner à ce réel sensoriel qui est peut-être le seul tangible dans la vie, l’exotisme opaque d’un pays étranger facilitant sans doute une sereine indifférence, un réel qu’on traverse avec lui le temps d’une heure et demi dans son pathétique, sa violence, son humour et sa beauté.