Le plus beau des Mario, sans manette et sans histoire (spoilers)

Le plus ingrat avec ce Super Mario Bros : Le Film, c’est qu’en acceptant un minimum son postulat initial de pur produit dérivé, je n’ai pas passé un si mauvais moment. Pourtant, voir la mine déconfite de certaines connaissances non-familières à l’univers du jeu vidéo me rappelle une réalité toute simple. Le geek que je suis s’était conditionné à voir une check-list de références consensuelles à Nintendo sans trop chercher plus loin, et c’est exactement ce qu’on m’a donné. Mais pour une personne insensible à toute cette débauche de fan-service plus ou moins gratuite, et ne cherchant qu’un petit dessin animé sympathique, cette collaboration entre Illuminations et Shigeru Myamoto ne remplit aucunement son contrat. Un problème d’autant plus facile à comprendre que même en ayant complaisamment apprécié ce plaisir plus ou moins coupable, mon envie de revoir ce film quand viendront les fêtes de Noël est proche du néant. La faute à une démarche d’adaptation qui tient, comme trop souvent, plus du copieux et superficiel catalogue publicitaire que du vrai divertissement familial.

Super Mario Bros : Le Film est un succès phénoménal au box-office, et semble bénéficier d’un accueil critique plutôt favorable ce qui, au vu du résultat, n’a rien de bien surprenant. Le long-métrage a été parfaitement étudié et calibré d’un point de vue commercial, et remplit une partie de son cahier de charges avec brio. Qu’on parle de visuel, de musique, ou de mise en scène, le fan de la première heure sera littéralement plongé dans l’univers de Mario. On se délecte ainsi de voir cette explosion de couleurs, et de multiples détails qui fourmillent dans ce véritable poème d’amour au monde Nintendo. Les moins connaisseurs reconnaitront sans mal les figures les plus emblématiques de la saga de par un design fidèle à leurs souvenirs, tandis que les vétérans esquisseront un sourire en détaillant les boxeurs affichés sur le mur d’un bar thématique sur Punch Out. Comme on pouvait s’y attendre, le film est généreusement rythmé par une abondance de scènes d’actions. Souvent brillantes, elles multiplient elles aussi les hommages aux jeux vidéo, qu’il s’agisse de la très bonne séquence plateformes en vue de profil à Brooklyn avec Mario et Luigi, ou du très forcé mais spectaculaire instant Mario Kart. Si on ajoute à cela un enrobage musical essentiellement composé de réorchestrations haut de gamme des thèmes les plus réputés de la licence, autant dire que la promesse fan-service est hautement remplie. Et nul doute que cette frénétique structure tape à l’œil, qui donne l’impression de jouer au plus beau des jeux Mario sans manettes, suffira au bonheur de beaucoup.

Mais un film, c’est aussi une intrigue, à fortiori pour un dessin animé à vocation de divertissement familial. Il se doit donc de parler aux connaisseurs de tous âges, mais aussi aux parents et curieux potentiellement insensibles, voire étrangers, aux subtilités du Royaume Champignon. Et de ce point de vue, l’écriture de Super Mario Bros : Le Film se vautre dans les grandes largeurs. Certains reprochent un scénario trop simple, ce qui ne me pose, en soi, pas de problème. On ne demandait certainement pas à une fiction sur Mario de marcher sur les traces d’un David Lynch ou d’un Christopher Nolan. Mais à défaut d’une histoire élaborée, on pouvait au moins s’attendre à quelque chose d’un minimum construit et d’attachant, qui donne envie de s’y replonger à l’occasion, au-delà de l’intérêt d’une simple chasse aux easter-eggs. Là où le bât blesse, c’est que le récit semble avoir été bricolé afin de servir ces derniers plutôt que le contraire. Et cela donne un déroulé inconsistant et insipide, incapable de toucher son public autrement que par ses références complices. D’abord par ce qu’il ne creuse jamais vraiment les quelques intrigues qu’il met en place. Une bévue d’autant plus regrettable que tous les ingrédients étaient présents pour l’éviter. Première erreur : avoir trop vite écarté Luigi du développement principal. Alors que sa relation fraternelle avec Mario aurait pu constituer un moteur émotionnel suffisant, elle est malheureusement survolée au profit d’une sommaire rivalité avec Donkey Kong, dont la présence, comme celle de ses congénères, n’est d’ailleurs justifiée que pour remplir un quota fan-service. Aussi funs et spectaculaires soient-elles, on s’interrogera également sur la pertinence à diluer à ce point l’intrigue par des scènes clins d’œil à Smash Bros ou Mario Kart. Intégrées au chausse-pied, ces séquences n’apportent rien de concret au récit qui aurait même pu gagner en crédibilité via des références plus adéquates, comme les tonneaux-canons ou plus simplement les Yoshis, relégués ici à un inutile caméo, en attendant une suite d’ores et déjà programmée.

D’autre part, impossible de ne pas parler de l’envahissante princesse, que dis-je, de la super méga ninja girl Peach, qui vient plus que régulièrement voler la vedette à notre héros en salopette rouge. Véritable couteau suisse endossant respectivement les casquettes d’héroïne, de mentor, de messager, ou même d’intérêt amoureux du héros (là encore, survolé), elle a l’apparence d’une princesse Disney dans laquelle on aurait enfoncé à coups de marteau la personnalité d’une Rey de la dernière trilogie Star Wars. Capable de mettre une rouste à n’importe quel personnage de l’univers de ce film (y compris Bowser), ses inégalables performances et sa capacité à se sortir seule de toutes les situations finissent par décrédibiliser le récit, tant les rebondissements afin de justifier l’utilité de Mario semblent téléphonés. Je ne dis évidemment pas que la bienveillante princesse Peach aurait dû redevenir la sempiternelle demoiselle en détresse qu’elle fut jadis. Cependant, comme ont su le faire certains jeux comme Super Mario 3D World ou même Mario contre les Lapins Crétins, il y avait peut-être un plus juste équilibre à trouver. Tous ces éléments mis bout à bout finissent par déséquilibrer une narration qui perd trop régulièrement de vue ses fils directeurs, parfois même au point de les oublier. Par voie de conséquence, on ne s’attache donc réellement à rien ni à personne, le long-métrage s’exprimant bien plus par sa technique que par le peu qu’il raconte.

Certains se diront sans doute que tout cela n’est pas si grave, si l’on accepte le parti-pris qu’il s’agit d’un film s’adressant exclusivement aux très nombreux fans de la licence, et que la vacuité du récit est largement compensée par son fun et son respect du matériau d’origine. Sauf que sorti de son habillage visuel et sonore quasiment irréprochable, la proposition des studios Illuminations ne parvient jamais vraiment à retranscrire « l’esprit » Mario. Conformément à mes craintes, le ton général, américanisé et trop ancré dans le réel, est souvent aux antipodes de la narration naïve et bon enfant des jeux d’origine. Et cela donne la désagréable impression de regarder un ersatz des Minions affublé d’une skin Mario. Difficile de ressentir l’esprit Nintendo en regardant un Mario se disputer avec son père au sujet de son avenir professionnel. Une innocence également indétectable devant les pitreries décalées de l’insupportable Toad ou les malveillantes moqueries de la Princesse Peach - encore elle - à l’égard de notre héros à la peine devant un parcours d’entrainement bien trop typé « jeu vidéo » pour être montré de cette manière. Des traits d’humour bien maladroits, que des termes trop typés façon « Power-Ups » ne feront qu’alourdir. Même la musique pourtant réussie, plombe son bilan à grands renforts de tubes éculés des années 80 (Bonnie Tyler, originalité/20) afin d’arracher un sourire forcé aux plus âgés, quitte à faire dans le hors-sujet. On pourrait citer beaucoup d’autres exemples, mais vous aurez compris l’idée. Même si l’ambiance y est, je n’ai jamais vraiment réussi à ressentir l’âme de l’univers Mario à travers cette production. Et c’est peut-être cet aspect qui me dérange le plus. Reste alors la solution de se raccrocher aux seules qualités de divertissement cinématographique de ce Super Mario Bros. Toutefois, pour les raisons évoquées plus haut, il devient vite compliqué d’y voir autre chose qu’un frénétique dessin animé un peu benêt, adressé aux seuls fans du jeu vidéo et laissant les profanes sur la touche. Un écueil toujours trop présent dans les adaptations de jeux vidéo, que ce Super Mario Bros : le Film n’aura pas aussi bien su éviter qu’un Sonic : le Film, pour ne citer que lui.

Super Mario Bros : le Film est un excellent produit dérivé de la célèbre franchise de Nintendo. Avec son habillage luxueux digne d’un bouquet final de feu d’artifice, sa multitude de références parfois subtiles, ou sa mise en scène nerveuse, nul doute la production des Studios Illuminations laissera pleins d’étoiles dans les yeux de nombreux fans de tous âges. Pourtant, si le contrat de complaisance semble en apparence bien rempli, il est tout de même regrettable de le voir ignorer à ce point toute vraie démarche narrative. Le récit amorce beaucoup mais développe peu, préférant noyer ses intrigues dans un tsunami de chasses aux easter-eggs et de scènes d’actions frénétiques. Aussi fun pour l’initié que vide de sens pour le profane, ce spectacle, qui confond souvent simplisme avec simplicité, manque cruellement de corps et surtout de cœur. Adoptant une écriture américanisée trop ancrée dans le réel, aussi bien dans ses personnages que dans son humour, Super Mario Bros le Film est aux antipodes de la naïveté touchante de son matériau de base. On se retrouve donc avec une jolie publicité géante, calibrée et efficace, mais dépourvue de toute consistance scénaristique et émotionnelle. L’essentiel de la cible visée s’en contentera, les autres peineront sans doute à y trouver leur intérêt. Tout de même bien plus agréable que la majeure partie des adaptations foireuses qui pourrissent le cinéma, le résultat n’en reste pas moins trop ouvertement mercantile et prévisible pour obtenir la première place de la Rainbow Road.

Arnaud_Lalanne
6
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le 26 avr. 2023

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Arnaud Lalanne

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