Retracer la genèse du groupe culte de rap français NTM était un sujet en or en plus d’être alléchant. Kool Shen et Joey Starr ont tellement marqué la culture du rap et la culture tout court durant les années 90, imprégnant leur message fort dans la société, qu’un film retraçant leur parcours était presque évident. De plus les frasques du groupe ont autant marqué les esprits que leur musique ce qui ouvrait une voie royale aux scénaristes pour raconter leur histoire. Le résultat est-il à la hauteur ? Pas vraiment. Mais il faut nuancer car il est fort probable que lorsqu’on est fan de ce genre musical et encore plus de la musique de ce groupe, l’appréciation de cette œuvre s’en retrouvera différente. En attendant, pour les profanes et les allergiques à ce type de musique, « Suprêmes » est parfois insupportable et fatigant. Pourtant, des films sur le blues ou le jazz peuvent être pourtant passionnants même quand on n’est pas client de ce genre de musique (on pense par exemple à « Accords et désaccords » sur le jazzman Django Reinhardt ou à « Ray » sur Ray Charles). Ce n’est donc pas une excuse et même si c’est peut-être moins facile pour le rap, cette biographie aurait pu être plus avenante pour tous les publics et c’est l’un de ses défauts majeurs.
En effet, il y a donc trop de scènes de rap (la moitié du film facilement) et si elles étaient forcément nécessaires pour s’imprégner de ce qui fait la sève du groupe, ici on frôle l’indigestion pour ceux n’étant pas clients. Ajoutons à cela le bruit perpétuel et fatigant des scènes de groupes, violentes et au langage vulgaire, notre cerveau est souvent mis à rude épreuve, proche de la saturation. C’est d’autant plus dommage que la réalisation d’Audrey Estourgo est proche du sans faute. Elle déborde d’énergie tout en étant visuellement très stylisée, un peu comme un clip de rap américain. C’est rythmé, appliqué et en totale phase avec le sujet. Mais là où « Suprêmes » met tous ses points c’est dans ces moments les plus intimes. Les scènes entre Didier Morville aka Joey Starr et son père sont les meilleures du film (leur duel verbal en milieu de bobine est tétanisant) suivies par celles entre lui et son acolyte Kool Shen aka Bruno Lopes, où l’amitié est mise en exergue. Dommage qu’elles soient trop rares car elles sont d’une intensité émotionnelle incandescente.
Et dans ces rapports humains nécessaires à la vraie captation de l’ADN du groupe, l’équipe du film frappe très fort avec le choix de Théo Christine pour le rôle de Joey Starr. Le jeune acteur découvert chez André Téchiné est incroyable de vérité, de rage et de douleur. Il vole la vedette à tous ses partenaires pourtant tous très bons. Une nomination aux prochains Césars semble évidente et incontournable. Mais le revers de bâton de cette composition fascinante est que le scénario n’en a que pour lui et que parfois le film ressemble davantage à une biographie du rappeur plutôt que du groupe auquel il appartient, le personnage de Kool Shen étant plus en retrait. Félix Lefebvre, révélé dans le sublime « Été 85 » de François Ozon est de son côté étonnant dans le second rôle du manager pubère. On apprécie aussi la contextualisation sociale de la naissance du groupe que l’on met adroitement en parallèle avec la montée des violences policières et des émeutes dans les cités. Il y a donc de bonnes choses mais le film se fait trop souvent désagréable dans sa fureur et aurait dû avoir la patte moins lourde sur les concerts pour davantage fédérer tous les publics. Cet avis reste donc plus subjectif qu’à l’accoutumée. C’est comme si un film sur un deejay techno avait la moitié de ses scènes dans un night-club aux sons de beats assourdissants, il n’est pas certain que les allergiques à ce type de musique apprécient en dépit d’éventuelles qualités cinématographiques...
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