Le biopic musical, cet art au combien compliqué... Les tentatives récurrentes d'illustrer la vie d'idoles musicales est fréquemment veine pour de multiples raisons. D'abord parce que la vie des concerné.e.s est souvent bien moins cinématographique que les sentiments évoqués par leur musique, ensuite parce que la filiation entre la backstory et la composition est régulièrement aléatoire. Enfin, filmer la musique, et plus spécialement la création musicale, est quelque chose de compliqué, de fastidieux et de peu graphique - ce qui fait généralement d'ailleurs des biopics de peintre des objets de cinéma bien plus évidents.
Ce constat, on le tire de dizaines de films autant hollywoodiens que français souvent à mi-chemin entre la page wikipédia et l'énième variation du trope ultra fané du rise and fall. S'en sortent malgré tout quelques films qui choisissent un angle ou un évènement qui sortent le musicien de sa biographie pour en faire le personnage d'un film.
Suprêmes navigue un peu entre ces deux approches dans le sens où l'angle d'attaque n'est "que" celui de montrer la création et l'ascension du collectif devenu groupe sur trois années et y déploie un scénario biographique assez complet et pas toujours très intéressant. On y a par exemple des histoires de managers dont on se serait volontiers passé. On y voit aussi Joey Starr se débattre entre grande pauvreté, histoire familiale violente et démons intérieurs avec un peu plus d'intérêt, notamment pour la relation père-fils terrifiante.
Mais la narration n'est pas du tout ce qui fait l'intérêt du film. Car ce qui intéresse la réalisatrice Audrey Estrougo est de faire ressentir l'émulsion créatrice qui sort d'une époque (89-92), d'un endroit (les cités de St Denis) et de sa jeunesse. Il ne s'agit pas de faire un film sur la vie en banlieue ou la violence policière mais bien d'utiliser ce contexte, présenté surtout par des éléments de décors ou des images d'archives, pour parler de musique, intention qui sera d'ailleurs textuellement adressée à une journaliste dans une reconstitution d'interviews : NTM n'est pas le porte-parole de la jeunesse des cités, NTM est un groupe de hip-hop du 93.
Et la réussite formelle du film tient là. Il y a une vraie énergie dans la mise en scène des concerts, des danses, des bastons, des petites foules, dans l'énergie de la bande... Il y a de la texture et du ressenti dans les micros qui crachent, dans les lumières de salle, le scratch du DJ, dans les loges impersonnelles... Et puis il y a ces moments intimes entre Kool Shen et Joey, qui ne sont souvent présentés seuls que quand ils créent, quand ils bafouillent, cherchent, hésitent, ne trouvent pas le rythme ou la bonne formule et là c'est gagné : Suprêmes réussit à capter cette chose impossible : le processus de création.
Les deux acteurs titres, Sandor Funtek et Théo Christine, sont vraiment très bons, traduisent des personnages imparfaits, attachants, vrais qui se construisent et s'aident dans une alchimie évidente. Le film n'est pas tant un bon biopic qu'un film de moments charnels. On pense juste à la scène du concert sauvage à Mantes la Jolie ou à l'enregistrement du couplet de Joey Starr sur Le Monde de Demain. A eux seuls, ils méritent de voir et revoir ce film.