Le documentaire de Nicolas Philibert nous fait embarquer à bord de l'Adamant, une péniche amarrée au quai de la Râpée, dans le XIIème arrondissement de Paris. C'est un voyage immobile qui commence, puisque le bateau ne part pas, mais c'est bien nous qui nous mettons à voguer, à flotter au rythme du clapotis de la Seine et parmi des personnages qui "sont des acteurs sans le savoir", dixit l'un des passagers – on a du mal à parler de patient, même si c'est précisément de ça qu'il s'agit.

Le film démarre de but en blanc sur la prestation passionnée d'un homme en chemise, qui se tient droit mais pourtant courbé, le visage et les dents abimés, mais sans perdre un sourire et une énergie communicateurs. Il entonne La bombe humaine, avec une voix dont on sent qu'elle n'est pas celle d'un pro, mais qui sonne pourtant juste. On voit alors un, deux, puis trois visages autour de lui, des regards incertains, pas sûrs de savoir s'ils sont ébahis ou atterrés, dans un premier temps. Puis la chanson se termine, et une nuée d'applaudissements – dont on pourrait presque penser qu'elle surgit de la salle plongée dans le noir – se propage. Derrière ou au-dessus des masques relevés (on est avant l'été 2021 au moment où le film est tourné, encore en pleine pandémie), les sourires apparaissent, on devine un environnement bienveillant, sans arrière-pensée, accueillant l'autre pour ce qu'il est.

Puis Nicolas Philibert repart, après le carton-titre, sur une approche en douceur de l'Adamant et de son environnement, le quai, les ponts, la Seine, les platanes qui laissent passer la lumière et le vent. Il nous fait prendre le temps, contempler, nous imprégner des lieux. Il fait toujours beau dans "Sur l'Adamant", comme si le réalisateur avait souhaité traduire visuellement les qualités "adamantines" du lieu : la dureté, la résistance d'un côté, l'éclat de l'autre. De magnifiques plans, comme celui de ces volets troués qui s'ouvrent lentement à la lumière du matin, nous sont offerts. Tout au long du film, l'esthétique du trou, évoquée en introduction par la phrase de Fernand Deligny, sera reprise : "surtout, n’oubliez pas les trous. S’il n’y a pas de trous, où voulez-vous que les images se posent, par où voulez-vous qu’elles arrivent ?"

Elle m'a tout de suite fait penser à une autre phrase, qui veut que les gens fêlés soient ceux qui laissent le mieux passer la lumière. Et en effet, tout était dit. Les passagers de l'Adamant, dont j'ai déjà lu dans beaucoup de critiques qu'on peinait à les des soignants – ce qui est souvent vrai – sont des personnalités extraordinaires, drôles, touchantes, et qui posent tout autant un regard sur nous dans ce film que nous posons le nôtre sur eux. Alternant brillamment des séquences plus calmes sur des lieux de vie vides ou encore endormis, et des moments d'euphorie collective, le documentaire nous embarque dans un espace protégé, à la fois clos et ouvert sur le monde, sur l'autre.

Si le dernier quart du film semble s'étirer un peu en longueur, on ressort de là rassuré sur le fait que certaines personnes, à certains endroits, agissent encore de façon purement désintéressée. "Mais pour combien de temps ?", s'inquiète Nicolas Philibert.

Basti175
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le 2 mai 2023

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