Délesté de sa voix-off sentencieuse et de ses flashbacks inutiles, ‘Sur les chemins noirs’ est un beau film contemplatif et l’émouvant portrait d’un homme qui veut reprendre sa vie en main. Jean Dujardin interprète avec douceur et retenue cet ersatz de Sylvain Tesson.
Un soir d’ivresse, Pierre, écrivain explorateur, fait une chute de plusieurs étages. Cet accident le plonge dans un coma profond. Sur son lit d’hôpital, revenu à la vie, il se fait la promesse de traverser la France à pied du Mercantour au Cotentin. Un voyage unique et hors du temps à la rencontre de l'hyper-ruralité, de la beauté de la France et de la renaissance de soi.
Commençons par quelques défauts pour mieux les évacuer. La voix-off est assez soûlante, bavarde et sentencieuse. Elle reprend les éléments de réflexion qui cheminent dans la tête du personnage et qui seront matière à un livre. Elles m’ont peu intéressées, la plupart n’étant pour moi que de philosophaillerie low-cost. Un exemple entre mille, la citation de Napoléon sur les hommes catégorisés entre ceux qui commandent, ceux qui suivent à laquelle le personnage ajoute ceux qui fuient. Soit. Le film reprend en fait le même principe que ‘La panthère des neiges’ de Marie Amiguet et Vincent Munie, déjà adapté d’une œuvre de Tesson. A savoir, la mise en image d’un récit de l’auteur avec les réflexions de ce dernier en voix-off. Cela marchait dans ‘La panthère des neiges’ car elle accompagnait la contemplation de Tesson et Munie, ainsi que celle du spectateur. Mais dans ‘Sur les chemins noirs’, elle est inutile. Il s’agit davantage de réflexions sur les hommes, sur lui-même et tout cela aurait pu être exprimé à travers l’interprétation de Dujardin, en se passant de mots.
Denis Imbert rappelle par flashback l’accident de Tesson, à l’origine de ce voyage. Était-ce nécessaire ? Je ne pense pas. Outre que l’histoire est connue aux yeux de ceux qui sont familiers de l’écrivain, elle ne me semble pas utile pour comprendre la motivation derrière ce périple, le voyage se suffisant à lui-même. Encastrés dans l’histoire comme des sortes de projections mentales des souvenirs et pensées du personnage, elles coupent l’histoire. Pour mieux insister, Denis Imbert se permet des transitions inutiles pour passer de l’un à l’autre comme ce morphing du personnage dormant à terre sur le flanc d’une colline à cette scène où il est écrasé par terre, ensanglanté à la suite de sa chute.
Une fois ces deux défauts mentionnés, il faut insister. Le film vaut le détour, car le voyage en lui-même est très beau. Denis Imbert se révèle être un vrai cinéaste-paysagiste, ce qui est assez rare dans le paysage (haha !) du cinéma français. Il filme plutôt bien les montagnes et les sentiers. Pour une fois, les plans de drones sont utiles et beaux, permettant de montrer l’immensité de la végétation, des reliefs et par comparaison la petitesse de l’homme. Le réalisateur montre très bien l’effort. On sent la douleur et la sueur.
Le film est ponctué de belles rencontres. Jean croise une tante (l’inoubliable Anny Duperey), un jeune rebeu, sa sœur (Izia Higelin) et son ami (Jonathan Zaccaï). Ils lui font office de compagnons de route et l’aide à se remettre en place. Il fait également la rencontre d’anonymes, notamment celle très belle à la terrasse d’un café.
J’ai trouvé Jean Dujardin très bon, démaquillé de tous ses tics comiques. Loin de ses rôles de Brice de Nice et d’Hubert Bonisseur de La Bath, il incarne avec sobriété et justesse cet homme en recherche d’équilibre. Il est d’une belle expressivité, son visage portant non seulement les stigmates de l’accident du personnage qu’il interprète mais également les traits, les rides du quinquagénaire qui vieillit. On le voyait souvent dans des rôles de personnages toniques, énergiques que ce soit des interprétations comiques ou plus dramatiques, il est ici d’une appréciable lenteur et d’une émouvante douceur.