Adapter Sylvain Tesson n'est pas chose aisée. L'œuvre de l'écrivain est celle de l'intime, celle d'une expérience de la solitude. Tesson raconte l'irracontable, analyse à sa façon un monde, son monde, la rencontre de soi face à la nature. Il se cache derrière ses mots autant que ceux-ci le dévoilent. Il est déjà, presque, un personnage à lui tout seul, que seuls les documentaires, et sa voix, unique, peuvent respecter.
Les mettre en images c'est tenter d'incarner des mots qui ne devraient peut-être pas l'être. Les adapter, c'est prendre le risque de travestir sa pensée, de ne pas voir qu'ils ont pour eux d'être ce qu'ils sont, plus que, parfois, ce qu'ils veulent dire ou décrire.
Les faire dire par quelqu'un d'autre c'est prendre le risque d'en faire ressortir ce qu'ils peuvent cacher de passéiste, de misanthrope, voire de réactionnaire. L'œuvre de Tesson, par sa fascination pour une nature immuable et cachée au regard de l'Homme, a toujours lorgné vers ces rivages, et c'est d'autant plus vrai avec ce livre, Sur les chemins noirs, loin d'être son meilleur, son plus évident ou son plus lumineux.
Denis Imbert prendre donc le risque de l'adapter en fiction et, à la manière de Safy Nebbou il y a quelques années avec Dans les forêts de Sibérie, le fait paradoxalement sans risque.
Jean Dujardin, grimé en Sylvain, renommé Pierre, prend donc ses mots.
Si l'on se détache par un effort de l'œuvre adaptée et que l'on prend le film pour ce qu'il est, une fiction adaptée de la vie d'un auteur, on pourra tour à tour trouver du charme à ces beaux moments de reconstruction physique comme mentale, à cette expurgation de la douleur par celle de l'effort, de cette redécouverte de sa santé végétale, de cet élan vers une "marche pour se relever". On appréciera la réussite, rare, de ce montage en flashbacks elliptiques, en parallèles, en va et viens, qui dessinent un personnage et son passé qu'il tente d'oublier et qui est pourtant une motivation autant qu'une menace. On pourra être charmé par l'apparition de la toujours émouvante Izia Higelin, ou par la crédibilité de Jonathan Zaccaï. On pourra à l'inverse être gêné par celle absente de Dujardin, à qui l'appel de la nature ne va pas (il est meilleur ivre dans les rues de Paris que philosophe face à une vallée), à qui l'épaisseur littéraire sonne creuse, dont la bizarrerie, le côté "givré" comme le qualifie sa sœur, ne nous est jamais vraiment reconnaissable.
Mais les apparitions en coups de vent qui peuplent le voyage physique comme psychologique du personnage peinent à apporter une épaisseur au récit, sont attendues, faciles, et s'oublient aussi vite que la séparation est advenue. Elle ratent le coche des bouleversantes rencontres de chemins qui sont tant de morceaux d'humanité. Denis Imbert les accumule (mais là encore, comment lui en vouloir tant il est difficile de ne pas rendre ennuyeux le trajet solitaire d'un homme ?) pour donner un regard de biais sur son personnage et, en peuplant sa route de rencontres nombreuses et furtives, pas toujours habiles (la confrontation générationnelle avec le personnage de Dylan, poussive), peine in fine à dessiner le portrait de la France rurale, celle oubliée de la diagonale du vide, qu'il semble pourtant au fond, et peut-être avant tout, vouloir dépeindre.
Le récit déroule ainsi sa petite musique connue, sans surprise, et le film glisse alors sur nous, sans émouvoir outre mesure et, surtout, sans nous faire saisir l'immense beauté de la nature que Tesson parvient si bien à communiquer par ses mots. Tout ça manque, et c'est cruellement dommage, de puissance et d'ambition.