« Sur les Chemins Noirs » de Sylvain Tesson est un livre magnifique et existenciel écrit de main de maitre. La prose est lumineuse, juste, concise. L’esprit du lecteur comble les vides, imagine l’homme dans son environnement, avec son bardas sur le dos, la fatigue, le froid, les intempéries, les terrains difficiles, le temps qui s’étire, les visages rencontrés… Et c’est bien là toute la beauté de la littérature que de proposer à notre imaginaire de compléter le récit comme il l’entend. Sauf qu’au cinéma, ça n’a rien à voir ! Dans un film, ce qui n’est pas dit se voit quand même, ce qui pose la question du réalisme, donc de la crédibilité... Malheureusement, on est ici tellement décorrélé du réel qu’il est bien difficile, voire impossible (en ce qui me concerne) d’adhérer à cette folle traversée.
Dans le monde de Tesson marcheur, vu par Denis Imbert, on peut marcher 1000 km avec un sac à dos aussi petit qu’un sac de plage, sans tente, sans provisions, quasiment sans eau (à part une gourde d’un demi litre)… Dans ce monde fantasmé, on peut bivouaquer et faire des feux partout, on peut dormir à la belle étoile sans matelas (ou presque) et sans abri (c’est bien connu il ne pleut jamais la nuit), on peut aussi se balader comme un dandy parisien du XIXè siècle (chemise blanche immaculée, gilet de costume) sans jamais se salir en plusieurs semaines de marche… Je sais bien que c’est comme ça que Tesson aime se mettre en scène mais peut-on réellement reproduire au cinéma un Tesson qui traverse les paysages français comme un cowboy hollywoodien dans les grands espaces vierges du farwest ? Peut-on aussi faire comme si les problématiques de la bouffe (provisions et popote), de l’eau, du couchage, de l’équipement, n’existaient pas, sous prétexte que Tesson, dans son livre, n’en parle pas ?
Dujardin ne me paraît pas non plus être un très bon choix de casting. Son jeu et son corps sont bien loin de l’ascèse d’un Sylvain Tesson.
Ceux qui n’ont jamais randonné de leur vie ne comprendrons sans doute pas de quoi je parle mais pour tous les autres, ceux qui ont marché des heures et des jours avec un sac sur le dos, ce périple édulcoré se verra avec beaucoup de distance. Le passage de l’écrit à l’image ne fonctionne tout simplement pas, sauf à se laisser porter par le texte sans demander jamais plus à l’image que ce qu’elle nous offre, de beaux paysages.