Suspiria est un gros fourre tout. Si on s'en tient à son fil conducteur, on tient un très bon film. Seulement, un fouillis d'éléments orbitent autour de la trame principale et viennent parasiter l'intrigue donnant au film un aspect complètement bancal et un peu déglingué mais en même temps un certain charme.
Suspiria, à l'opposé du film dont il est le remake, s'ouvre sous le signe de l'austérité. Fini les couleurs kitsch et place à la grisaille d'un Berlin guerre froide et à des décors aux motifs géométriques. Mais au delà de la photographie, c'est surtout au niveau du son que Suspiria travaille sa rigueur. Madame Blanc dit "Je préfère sans musique" et ce qui vient rythmer les premiers actes, en plus de quelques rares nappes sonores, ce sont surtout les bruits des corps en mouvement, des danses fendant l'air ou frappant sèchement les planchers.
Ces sons font graviter l'entièreté du film autour des corps comme matière travaillable et déformable. Les danseuses sont la plupart du temps en justaucorps (voire nues), laissant apparaitre leurs formes, mais ne sont jamais filmées de manière réellement érotisante. Leur corps apparait comme un outil à la fois de travail, et à travailler (Madame Blanc nous dit que la force physique vient avec l'entrainement). A ces corps sculptés de danseuses viennent s'opposer des corps difformes. C'est le corps d'une victime, plié et tordu par les mouvements brutaux d'une chorégraphie. C'est le corps mourant d'une sorcière en fin de vie et c'est aussi le corps d'une femme dans le rôle d'un homme, coquetterie Guadagninienne dont on aurait pu se passer mais qui finalement s'inscrit habilement dans les thématiques du film.
L'aridité offerte dans les premiers actes s'effrite d'un coup lors du dernier acte jusqu'à un final complètement fucked-up abusant d'un seul coup des effets tant visuels (un voile rouge à la Argento, mais plus proche d'un délire de La troisième mère que du Suspiria original) que sonores (un doux morceau pop accompagnant un bain de sang). Ce changement brutal de style fait l'effet d'une petite claque à l'heure ou peu de films osent lâcher la bride à ce point et assumer leurs délires jusqu’au bout, ce qui, en soi, est aussi un bel hommage au Suspiria de 1977.
Dommage que Guadagnino ne puisse s'empêcher de glisser ses habituelles préciosités (des dialogues en français, un contexte historique appuyé mais inutile etc...). Il essaye aussi d'intégrer péniblement une histoire d'amour dans le récit horrifique via le personnage du docteur. Plusieurs trames de récit partent de ce personnage et le film s'ouvrant et se clôturant sur lui, il vole presque la vedette au personnage de Suzy. C'est ce flou scénaristique (mais que raconte vraiment le film ?) accentué par un montage rapide et saccadé assez surprenant qui donne cet aspect branlant à Suspiria.
Le résultat est finalement à l'image de son générique aux lignes brisées ou obliques et aux polices de tailles variables, un film paradoxe à la fois maitrisé et tordu, prônant d'abord la rigueur pour finalement s'offrir toutes les outrances. Qu'on le pense réussi ou raté, Suspiria a au moins le mérite d'assumer ses irrégularités et de fournir une proposition beaucoup moins formatée que la production horrifique habituelle.