Il n’est jamais bon d’avoir des attentes, on ne s’en révèle que trop souvent déçu. Il n’empêche que, des attentes, j’en avais concernant Suspiria. Sa réputation et les quelques images que j’en avais vu avaient toujours fait naître en moi un désir scopique : ses photogrammes ont parfois un charme hypnotique auquel j’étais sensuellement sensible. Que m’en reste-t-il après le visionnage ?


Tout d’abord, et c’est en effet le gros point positif du film, Suspiria est plastiquement une réussite. L’expérimentation des formes, des couleurs, des lumières et des décors en font un objet pictural intrigant qui va au-delà de l’effet narratif et qui s’assume dans sa forme abstraite. Les reflets liquides sur les murs de la chambre, ou le rouge sang omniprésent (au point de cramer l’image) dans le couloir par lequel s’enfuit Sara (Stefania Casini) créent chez moi un plaisir esthétique similaire à une toile de Delaunay ou des rushes de l’Enfer d'Henri-Georges Clouzot.


Mais ces expériences souffrent aussi, hélas, parfois des effets qui se veulent horrifiques et qui dégueulent le kitsch. Les yeux jaunes aperçus par la fenêtre ou le sang rouge terriblement factice ne rendent clairement pas hommage à la minutie visuelle du film. Cela pourrait s’avérer pardonnable si l’usage du son ne le transformait pas en une sorte de série-B grotesque. La musique, pas tellement effrayante (qui me rappelle par ailleurs vaguement celle du Halloween de John Carpenter) est bien trop présente et pas assez pesante à mon goût : elle me lasse, me reste en tête, détourne mon attention. L’ensemble du sound design manque également d’épure : le son d’éclair dans le taxi pour appuyer la pluie ; les bruits de fantôme pour signifier le vent et la paranoïa du personnage de Pat (Eva Axén) dans la salle de bain… Le jeu d’acteur n’aide, lui non plus, pas à prendre le film au sérieux. On y joue mal, notamment dans les séquences se voulant effrayantes ; il m’est impossible de me mettre à la place des personnages. Tout est grossier, grandiloquent, parfois guignol.


Et puisque tout est stylisé à outrance, du décor à la lumière, du son aux personnages pour qui je n’éprouve aucune empathie, il m’est impossible de ressentir l’horreur que Dario Argento cherche à me dépeindre. Le rapport au temps s’avère également très compliqué : pour exemple, l’introduction est trop brusque, le montage ne laisse respirer ni les plans, ni Suzy (Jessica Harper). Le rythme du reste du film se perd dans d’énormes longueurs bien que le film ne dure pourtant qu’une petite heure trente.


Comment le fantastique pourrait-il investir ces images où tout est si éloigné du réel ? Là où certains voient dans cette curiosité baroque un chef-d’œuvre, je ne peux m’empêcher de ne voir rien de plus qu’un nanar. Des soupirs, oui, mais des soupirs d’ennui. Il n’est jamais bon de trop en attendre d’un film.


21/11/2024

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le 21 nov. 2024

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