Entre mélancolie d'une Amérique puritaine et celle d'une Allemagne divisée par les remous politiques, apparaît la sublime Susie Bannion, qui dès le départ, semble être la jeune femme innocente et naïve, prête à se faire dévorée et manipulée par la renommée troupe de danse berlinoise. On se met d'emblée à voir en cette jeune danseuse, une certaine empathie, dans la mesure où, ce rôle principal qui lui sied à merveille tend à faire voir en elle la brebis galeuse qui sera sacrifiée sur l'autel de ce genre de film gore et horrifique tant attendu, qui n'en reste pas moins un remake. Au risque de paraître présomptueux, j'avoue ne pas avoir vu le film original sorti en 1977.
Ceci étant, on arrive facilement à se glisser dans cette atmosphère de l'Allemagne soixante-dix-septard, qui nous plonge en pleine Guerre froide. L'hiver interminable et sa froideur morose, ne semblent pas ébranler la motivation de la jeune femme, qui se retrouve comme habitée par une force incontrôlable. Au fil du temps, on se soucie plus de la sécurité du vieux détective qui veut absolument aider les jeunes danseuses, tombées entre les griffes de cette maison de l'horreur, en voulant à tout prix dénoncer leurs terribles secrets. Et malgré les cauchemars incessants de notre jeune muse et les élucubrations morbides des "Mères", la peur ne semble pas un instant effleurer son esprit espiègle.Tantôt les assassinats et les manifestations, tantôt les prises d'otages, le tableau qui est dépeint dans la capitale allemande se révèle comme une longue marche vers le désespoir. On ressent surtout la pointe de féminisme exacerbée dans la lutte acharnée vers l'indépendance et la liberté de ces femmes, qui arrivent tout de même à mener à bien leur compagnie de danse. Cela dit, la monstruosité de la violence des scènes nous happe au plus haut point, puisqu'on se rend bien compte qu'on a à faire ici, à quelque chose qui dépasse de loin la danse contemporaine, voire même l'art à proprement dit. Les soupires, les murmures et les images franc-maçonnes à travers les cauchemars des danseuses principales montrent le désir ardant de ces femmes maléfiques à vouloir se servir de ces dernières comme réceptacles, afin de pouvoir assouvir leurs pouvoirs macabres et mortifères.
Mise à part le côté ésotérique de la tournure des événements, à savoir, le sacrifice de celles qui ont voulu dénoncer, à travers des danses endiablées et frénétiques pour la Mère Markos, ce qui nous surprend ici, c'est la volonté et l'assurance de Susie Bannion, prête à se sacrifier pour rejoindre ces femmes démoniaques. A croire que l'héroïne était prédestinée à endosser le rôle de la Mater Suspiriorum. C'est ainsi que notre jeune héroïne finit par semer le chaos dans une scène des plus sordides et sanguinaires de ce film éprouvant.
Au final, l'acceptation d'appartenir à cette congrégation de sorcières, fut salutaire pour Susie. Car le spectacle répugnant et abject qu'on nous propose dans la dernière scène, a beau nous heurter, non seulement notre héroïne s'en sort indemne, mais encore, elle aime ce pouvoir diabolique et prend du plaisir à voir le sang coulé à flot. Ainsi, malgré ce déchaînement de violence vengeresse, c'est pourtant l'amour et l'empathie qui finirent par régner soudainement dans le cœur de notre nouvelle Mater Suspiriorum, tout du moins, elle apparaît plus juste que celles qui l'ont précédées, en épargnant le vieux détective.
S'il on prend en considération toute la violence jubilatoire et paroxystique de ce film foncièrement ésotérique, forcé de constater que la danse et l'histoire de l'Allemagne ne sont que des prétextes pour noyer le spectateur dans une certaine réalité étouffante, puisqu'on retient que le personnage principal ne désirait qu'une chose, se libérer du carcan familial et religieux. De plus, le thème de la violence terroriste, des prises d'otages, de l'Allemagne divisé évoquent aussi cette soif de liberté et ce désir ardant d'indépendance. L'image du Mur de Berlin dans le film, symbolise en quelque sorte une frontière très ténue et fragile entre la douceur de la danse et la violence macabre.
Et dans tout cela, j'ai failli passer à côté de la magnifique bande originale composée par le talentueux Thom Yorke, chanteur de Radiohead. La musique mélancolique très caractéristique du leader des Radiohead, crée ici un contraste manichéen très efficace face à toute cette violence épouvantable. Sa musique ensorceleuse nous sert de guide en quelque sorte, pour nous inviter calmement à prendre part à toute cette folie. C'est le moyen qu'il a trouvé pour nous faire avaler la pilule, car il faut se le dire, il faut bien s'accrocher pour aller jusqu'au bout de l'aventure Suspiria. Et rien que pour cela, la musique de Thom Yorke en sort grandi.
Le caractère sulfureux de ce genre cinématographique peu abordé à l'écran, nous plonge dans l'effroi le plus total. Le cinéma gore n'a pas fini de nous étonner et je peux avouer que c'est un euphémisme, que de dire qu'il y avait beaucoup à dire sur Suspiria.