Suzume
7.1
Suzume

Long-métrage d'animation de Makoto Shinkai (2022)

Et au final, la générosité l’emporta…

Etonnamment, sitôt je repense à ce Suzume, que les premières choses qui me viennent à l’esprit se révèlent peu flatteuses.
Peut-être est-ce lié au fait que le dernier long-métrage de ce bon vieux Makoto Shinkai s’étale sur plus de deux heures et qu’il tire un peu la langue sur la fin…
Peut-être est-ce aussi lié au fait qu’après trois films vus de lui (pour information Your Name et Les enfants du temps) je commence à voir avec de plus en plus d’évidence les grosses ficelles dont il aime user…
…Et pourtant, au bout du compte, je me dois bien de reconnaître que malgré tout je suis ressorti de ce film ravi. Et ça, pour moi, ça dit quand même quelque-chose de la force de cet auteur.


Ah ça ! On lui en pardonne l’air de rien à ce sacré Makoto !
D’un côté il verbalise clairement trop…


La frustration de Tamaki d’être passée à côté de sa vie de jeune-femme à cause de la garde de Suzume est martelée au marteau-piqueur, au point d’aboutir à une confrontation verbale avec sa nièce particulièrement maladroite. Même chose en ce qui concerne le point d’orgue du film – la rencontre entre la Suzume adulte et la Suzume enfant – où la première récite une morale interminable à la seconde avec une subtilité pachydermique. Et à cela on pourrait y ajouter toutes les épiphanies de Sato sur le respect de la nature et l’envie de vivre. On nage clairement entre sagesse de développement personnel et philosophie de fortune cookies.


De l’autre, il se perd (et nous perd dans la foulée) avec son orgie de symboliques mystiques…


Le film nous fait progressivement comprendre que les pierres de voûte sont en fait des verrouilleurs qui ont accepté de se sacrifier, ouvrant dès lors la voie à cette question : « mais qui est Daijin alors ? ». Le film entretient le mystère tout du long mais oublie finalement de répondre.
Idem, quand Tamaki s’énerve contre sa nièce, on se rend alors compte qu’elle semblait sous l’emprise d’un autre esprit félin. Ce dernier fait son apparition. On l’embarque. Il joue un rôle central dans la lutte contre le gros ver et… Bah c’est tout. Qui était-il ? Que symbolisait-il ? Silence radio.


Parfois d’ailleurs, le scénario a tendance à se prendre les pieds dans son propre tapis.


Est par exemple régulièrement mis en avant le fait qu’il manque un pied à la chaise jaune de Suzume, cultivant le mystère sur les raisons de sa disparition. Or – de ce que j’ai cru comprendre – la chaise perd son pied au moment où Suzume arrache la chaise en tant que pierre de voûte… Mais sauf que cette pierre de voûte c’était Sato ; Sato a qui il manquait déjà un pied depuis le début de son incarnation en chaise. Donc bref, j’ai quand même l’impression d’avoir loupé un épisode dans cette affaire et que si je l’ai loupé c’était parce que tout ça n’était pas très clair.


Et puis surtout, comment ne pas évoquer ce qui reste quand-même ma plus grosse réserve à l’égard des œuvres de Makoto Shinkai – et ce Suzume n’y échappe d’ailleurs pas – le fait que ce soit terriblement cul-cul.


Au fond toutes les intrigues personnelles sont résolues par le pouvoir de l’amour. Quant à la morale finale, elle pourrait se résumer à cette phrase que Sato énonce presque littéralement en guise de conclusion : « Tant qu’on aura envie de vivre, on saura trouver du bonheur à exister. »,


Tout a quand même des allures assez grossières quand on prend bien la peine de s’y attarder deux secondes...


Et la référence finale faite à la catastrophe de Fukushima, bien que plutôt pudique, ne participe pas à rendre l'ensemble plus subtile...


Et vu que ce film a tendance à se répéter par des boucles d’événements qui se reproduisent assez régulièrement – et cela sur plus de deux heures – au bout d’un moment ça commence forcément à se voir.


Et pourtant…


Et pourtant qu’est-ce qu’il m’a emballé ce film !
Si j’ai d’ailleurs pris la peine de lister par le menu tout ce que je trouve de fort léger – voire de presque irritant – dans ce Suzume, c’est pour que vous puissiez prendre la mesure de ce que je considère être là un véritable tour de force cinématographique.
Parce qu’au-delà de tout ce que je viens d’évoquer, il y a aussi ce qui habite ce long-métrage et qui en fait une œuvre disposant d’un réel pouvoir d’envoûtement ; devrais-je même dire d’un charme. Et ce charme, il faut d’abord aller le chercher dans les espaces.


Chaque scène surprend de par l’importance qu’elle accorde aux lieux. Car autant le character design est plutôt quelconque – même pour de la japanime – autant les lieux bénéficient d’un soin particulièrement appuyé.
Ça tient autant dans le souci du détail que dans le mariage heureux des lumières et des couleurs, sans oublier bien sûr le rapport dynamique que ce film entretient avec ces endroits qu’il nous fait visiter. On pourrait bien évidemment évoquer l’habile intégration de l’animation 3D aux éléments de 2D traditionnelle, mais n’oublions pas non plus de souligner la quantité incroyable de plans différents que ce film produit afin de multiplier les angles d’approche d'un même lieu.
Et pour chaque instant, on sent la volonté de saisir tous les éléments qui font l’essence d’un endroit afin de toujours les présenter sous leur meilleur jour. Ainsi même la métropole bondée de Tokyo, même une autoroute, même le tunnel d’une voie ferrée sont présentés comme des éléments constitutifs d’un univers dont il conviendrait de ne rien retrancher.


C’est d’ailleurs aussi tout ce que porte l’intrigue : cet amour de l’espace, qu’il s’agisse de celui d’aujourd’hui comme celui d’hier.
Ce goût de l’exploration des lieux, il se traduit à la fois à travers le long voyage opéré par Suzume – prétexte à la multiplication de cartes postales du Japon – mais également par ce rapport à la ruine ; au monde qu’on laisse derrière soi et que les éléments les plus mystiques de l’histoire permettent de remettre en lumière.
Étonnement, c’est d’ailleurs dans ce rapport à l’espace que l’on ressent le plus toute la sensibilité qui anime l’œuvre de Makoto Shinkai : mélange de sentiment de préciosité à la fois à l’égard de ce qui est mais aussi de mélancolie par rapport à ce qui n’est plus et ce qu’on a perdu.
Mélancolie et sentiment de préciosité : deux dimensions qui habitent puissamment ce film grâce à sa deuxième force : son sens du souffle.


Car ces espaces ne sont parvenus à me parler vraiment que parce que ce Suzume parvient à leur insuffler une âme.
Dans ce film, même les ruines sont vivantes. Surtout les ruines. Ce sont d’ailleurs ces espaces-là qui savent le mieux mettre en branle la mise-en-scène de Makoto Shinkai.
Elles sont des lieux où on rencontre des esprits, où on ravive des souvenirs du passé et où on lutte face à la puissance des émotions.
Et c’est là justement que repose toute la force d’un artiste : dans cette capacité à générer chez le spectateur ce qui émerge en lui. Or, par ce jeu de lutte contre les démons de la mélancolie, par ces scènes sachant toujours grimper en puissance face à des forces autant fascinantes que destructrices, Shinkai parvient à traduire la force des émotions que suscitent en lui ces espaces en ruines, ces parcelles de vie oubliées, ces fragments de vie qui rappellent au caractère périssable de nos lieux et de nos vies.
Et face à ce ver de la mélancolie qui nous ronge sitôt regarde-t-on de l’autre côté de cette porte qui sépare ce qui est encore de ce qui n’est plus ; sitôt commence-t-on à retirer ne serait-ce qu’un seul élément constitutif de ces mausolées qu’on participe déjà au grand éboulement ; qu’on joue sa part dans cette terrible mécanique d’oubli qui participe à la périssabilité des gens et des lieux.


Ça, c’est du cinéma. Du moins c’est tout le cinéma que j’aime.
C’est un cinéma qui parle par la forme. Un cinéma qui transmet par les sens.
Un cinéma vivant en somme.
Je n’ai pas encore lu de retour au sujet de ce film mais je reste persuadé que si ce Suzume rencontre un tel accueil positif au regard des moyennes qu’il affiche sur le site, c’est surtout grâce à ça.
Malgré son écriture parfois balourde, son propos un brin nian-nian et sa morale franchement cul-cul, Suzume parle aux gens parce qu’il reste avant toute chose un vrai film de cinéma : un film qui met le monde, les gens et les émotions en mouvement ; un film qui met tous les arts et techniques du septième art au service de la transmission sensorielle.


En ce qui me concerne, moi, au bout du compte, je ne retiens que ça. Et s’il m’arrive parfois (souvent ?) de me laisser agripper par quelques détails fâcheux, là tout est emporté par cette déferlante de générosité. Une déferlante formelle. Une déferlante de totale maitrise.
Or, moi, c’est ça que je veux voir quand je vais au cinéma.
Je veux du cinéma incarné. Du cinéma qui a du souffle. Du cinéma qui a de l’élan…
…En d’autre mot, du vrai cinéma.
Alors merci maître Makoto pour cette remarquable démonstration de vrai cinéma...
...Et en espérant qu'à l'avenir, d'autres maîtres sauront suivre cette juste voie.

lhomme-grenouille
8

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le 24 avr. 2023

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