Fin des années vingt, Flaherty, l'inventeur du documentaire est devenu paria à Hollywood à cause de désaccords sur Ombres blanches; l'ethnographe n'aime pas trop l'arrivée du romanesque dans ses chères îles du Pacifique... Murnau, lui sort de City Girl, pleine période panthéiste, il vient de créer sa maison de production, alors il fait ce qu'il veut, il propose à Robert de co-réaliser un film avec lui à Bora-Bora.


Dix-huit mois de tournage au paradis sur terre, très vite, les deux personnalités se révèlent trop fortes et Friedrich reste seul maître à bord de ce qui sera son dernier film. Pendant ce temps là, Ulmer scénarise sur les idées de Flaherty, ça commence à faire du beau monde...


Matahi, le plus brave guerrier de l'île et Reri, la plus belle fille du chef s'aiment d'amour tendre dans les cascades de Bora-Bora. Un jour arrive Hitu, le grand grand chef Tahitien, tout vieux et impassible, sorte de Chishu Ryu en plus méchant... Le vieillard a décidé de se remarier et a jeté son dévolu et son regard lubrique sur la belle Reri, condamnant par avance tout opposant potentiel à un tabou impitoyable.


Bien sûr c'est du Murnau, alors les lumières sont prodigieuses, les cadrages aux petits oignons et les jeunes éphèbes particulièrement mis en valeur. La femme, comme d'habitude, est surtout résumée à son rôle sacrificiel.


L'histoire est passionnante du début à la fin, avec cette force romantique que seuls les teutons peuvent avoir, même à l'autre bout du monde. La vie décrite est plus détaillée que dans les meilleurs documentaires et la beauté stupéfiante de la vie primitive n'a d'égale que la laideur larvée qui attend nos amoureux sur une île dite civilisée.


La légende s'est arrangée depuis pour que la vérité rattrape la fiction. Suite à un tabou quelconque brisé quelque part, sans qu'on ne sache trop si c'est à cause d'une prise de vues incongrue près de récifs sacrés ou de la construction par Murnau de son faré à Tahiti sur une terre consacrée aux ancêtres. Hitu, le vieux belliqueux du film et sorcier de son véritable état jette alors un sort à l'équipe de tournage et à son réalisateur.


S'en suivirent quelques noyades, deux ou trois empoisonnements, des explosions inexpliquées et surtout la mort du cinéaste, dans un accident de voiture à quelques jours de la première du film.


Grand superstitieux lui même, Murnau aurait d'ailleurs refusé de contrarier son propre destin, allant presque à la rencontre de cet accident qui devait parachever le mythe et nous faire perdre, à l'entrée dans le cinéma parlant, le plus grand génie de la période muette.

Torpenn
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le 3 août 2012

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le 3 août 2012

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Torpenn

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