Tabou, laid ?
Si quelqu'un prétend ça, sachez que ce ne sont que des salades. Il y a une telle volonté, dans le film de Miguel Gomes, de faire quelque chose de différent, de décalé, que le film oscille sans cesse...
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le 20 mai 2013
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Avec une certaine désinvolture, Miguel Gomes déclare ne pas apprécier le « cinéma du réel », il se veut conteur d'histoires fabuleuses. Sa filmographie manifeste son goût certain pour le récit : merveilleux, romanesque ou baroque. Dans L'inventaire de Noël, son second court-métrage réalisé en 2000, Gomes s'essaye à un mélange inclassable de documentaire sur les fêtes de Noël dans une famille bourgeoise, de film de fiction, et de film d'animation inspiré de Fantasia de Walt Disney. Il s'agissait avant Tabou, de reconstitution artificielle par le médium cinématographique d'un monde perdu, ici, celui de l'enfance. Dans 31, on retrouve l'idée d'un film « pour de faux », faisant référence cette fois-ci au Magicien d'Oz de Fleming.
Tabou nous entraîne dans le lyrisque baroque dès son prologue : un explorateur inconsolable de la mort de sa femme se fait dévorer par un crocodile. Dans la séquence suivante apparaît un personnage, Pilar, assis dans une salle de cinéma, regard face caméra. Le prologue n'était-il qu'un ornement avant le vrai film ? On verra que non. Gomes brosse ensuite, dans la première partie « Paradis perdu », les portraits de trois femmes maussades dans une Lisbonne contemporaine. Mais loin de tout réalisme, Pilar devient l'oreille attentive recueillant les histoires invraisemblables d'Aurora, une vieille femme apparemment folle. Dans une scène quasi hypnotique, Aurora raconte à sa bonne Santa et à Pilar, un rêve loufoque avec un singe. La caméra tourne autour d'elle, le monde extérieur se floute peu à peu tandis que le regard face caméra d'Aurora captive le spectateur. L'intrusion du récit de rêve ou du passé dans les derniers instants d'Aurora fait émerger un monde perdu, de la jeunesse, de l'amour et de l'aventure, celui de la seconde partie du film intitulée « Paradis ». La mort d'Aurora est l'occasion pour Pilar et Santa de rencontrer son amant d'autrefois, Ventura. Celui-ci raconte leur histoire d'amour en voix-off dans un décor merveilleux du Mont Tabou situé dans l'ancien empire colonial portugais, le Mozambique.
Cette seconde partie prend la forme d'un film muet, comme un éloge au cinéma de Murnau, rendant possible quelques moments de grâce : par exemple, la première rencontre reposant sur de simples échanges de regards entre Ventura et Aurora. La scène est muette car les événements importent peu, c'est leur trace dans la mémoire amoureuse que montre le film. Cependant, Gomes ne verse pas dans le sentimentalisme convenu et conserve une certaine distance ironique vis-à-vis du récit. Ainsi, la rencontre amoureuse est provoquée par la disparation du crocodile d'Aurora, prénommé Dandy, qui s'est caché chez Ventura. Le récit de Ventura décrit un monde disparu et un cinéma d'un autre temps, d'où l'emploi de la pellicule et une image en noir et blanc d'aspect granuleux comme une vieille photographie. Le récit du merveilleux rend possible toutes sortes d'extravagances (un morceau des Ramones joué par un groupe portugais ultra kitsch) et d'éléments romanesques (une correspondance à l'eau de rose).
Ainsi, le cinéma de Gomes s'apparente à un creuset de toutes les formes de fiction, aussi communes et populaires soient-elles. Tabou se compose de tous les récits du monde sur un mode faussement naïf et propose un éloge inattendu de l'imaginaire. Et à travers Dandy le crocodile, véritable gardien du récit, on peut reconnaître Gomes lui-même.
Créée
le 31 oct. 2015
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