Sono Sion est un adepte de l’étrange, un suppôt de l’irrévérence. De Cold Fish à Tokyo Tribe – en passant par Love Exposure et Guilty of Romance – le cinéaste japonais expérimente sans cesse, érigeant en dogme sa liberté de ton. Artiste polymorphe à l’esprit fécond, il mettra au monde six (voire sept) nouveaux long-métrages en 2015… dont celui qui attire actuellement votre attention : Tag. Estampillé « film de commande » et librement adapté du roman Real Onigokko de Yusuke Yamada, Tag reste intrinsèquement lié à son réalisateur (les différentes incarnations du personnage central, Mitsuko, Keiko et Izumi, portent le prénom de protagonistes déjà apparus dans sa filmographie). Teintée de philosophie surréaliste, l’œuvre oscille entre des fulgurances trash désinhibées et un ersatz de fable sociale pro-féministe. Entre cinéma d’exploitation et pulsions auteuristes, le cinéaste mêle le lyrisme au grotesque avec une aisance rare : l’essence même de Tag est celle du film méta, dans lequel la vénusté crétine succède au sadisme le plus décomplexé, au détour d’une pseudo-critique plus ironique qu’acerbe (dans un tel contexte) de la sous-culture nippone.
Si Real Onigokko explorait les enjeux d’une malédiction s’abattant sur les individus nommés Sato, Tag, pour sa part, retrace l’histoire d’une jeune fille parcourant des mondes parallèles, dans lesquels les mêmes personnages sont exterminés par des forces tantôt humaines, tantôt supra-naturelles. D’emblée, Sono Sion précipite son audience dans un macrocosme alogique et essentiellement féminin, dénué de repères spatio-temporels identifiables – comme s’il était issu de la Twilight Zone. La séquence d’ouverture offre au spectateur la vision de jeunes lycéennes littéralement coupées en deux par le vent ; l’unique survivante fuit sur une route jonchée de semi-cadavres. De bout en bout, la douceur des tons pastel, caractéristique d’un univers cotonneux à l’orée du kawaii, contraste avec la violence des morts et renforce l’aspect burlesque de Tag. Optant pour une mise en scène dynamique, Sono Sion ponctue son dernier long-métrage de plans de caméras montées sur drone, dont les mouvements aériens ne font qu’accentuer l’étrangeté fantasmagorique du récit tout en capturant – le moment voulu – les émotions de comédiennes au jeu aussi mesuré qu’outrancier. Le film dérivera lentement vers la S-F en proposant une fin nébuleuse, génératrice d’interprétations multiples…
Éthérée, et signée par le groupe de post-rock nippon Mono, la bande-originale souligne tout le caractère surréel d’une œuvre perdue entre onirisme et paranormal. Yoshihiro Nishimura – l’apôtre du splatterpunk japonais derrière Tokyo Gore Police et Vampire Girl vs Frankenstein Girl – est quant à lui en charge des effets spéciaux. Ces derniers, vulgaires et orgastiques, dynamisent un film autrement meurtri par une narration déconcertante, bordélique et répétitive. Ce nouvel essai de Sono Sion n’en demeure pas moins réjouissant et suscitera l’intérêt des adorateurs de carnages corporels, d’humour punk et de no reason… Car malgré l’apparente richesse sous-textuelle de Tag, sa myriade d’éléments bis et son intrigue sibylline rendent l’implication intellectuelle du spectateur complexe… Aussi surprenant que cela puisse paraître, les destructions osseuses, les hectolitres d’hémoglobine et les cochons anthropomorphes ne laissent que peu de place à la réflexion. Mais si vous êtes de ceux qui n’ont que peu ou prou d’aversion pour les choses qu’ils ne comprennent pas toujours et qui aiment sombrer dans des torrents interprétatifs, laissez-vous tenter. « Life is surreal, don’ t let it consume you ! »
(Retrouvez la critique sur films-horreur : Tag)